Stérilisation: des femmes témoignent des difficultés de subir une ligature des trompes | 24 heures
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Stérilisation: des femmes témoignent des difficultés de subir une ligature des trompes

Amélie Paré
Photomontage Marilyne Houde

Amélie Paré

«J’ai juste posé une question sur la ligature des trompes et elle m’a répondu: “Non, non, mais vous ne l’aurez pas”.» 

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Difficile au Québec pour une jeune femme sans enfant de subir une ligature des trompes, une intervention visant à la rendre stérile de manière permanente. Camille-Morgane Gimond, qui est âgée 33 ans, s’est vu refuser l’opération à deux reprises, notamment par une gynécologue dans un hôpital de Québec.  

Pourtant, la jeune trentenaire est catégorique: elle ne veut pas d’enfant. Elle le sait depuis l’adolescence. C’est pourquoi elle voudrait se faire ligaturer les trompes, après avoir utilisé l’implant contraceptif pendant de nombreuses années.  

Avant ce refus catégorique, elle avait eu un rendez-vous téléphonique avec une autre gynécologue du même établissement qui lui avait gentiment fait comprendre qu’elle n’était pas prioritaire et qu’on ne risquait pas de lui accorder l’opération vu qu’elle n’avait pas encore d’enfants. 

Ce que regrette le plus la jeune trentenaire, c’est qu’on ne lui permette pas de récolter l’information nécessaire, sur les risques de l’opération et sur son déroulement notamment, pour pouvoir prendre une décision éclairée. Tout de suite, on lui ferme la porte.   

«Je n’ai pas 20 ans, j’en ai 33. J’ai eu le temps d’y réfléchir quand même», regrette-t-elle.  

Malgré les refus qu’elle a essuyés l'Hôpital Saint-François d'Assise, Camille-Morgane Gimond n’a pas l’intention de changer d’avis. Elle va tenter de consulter des médecins ailleurs et aller de l’avant avec sa volonté de se faire ligaturer les trompes plus tard.  

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Préparer son plaidoyer 

Amélie Paré, 31 ans, est infirmière dans un CHSLD en Mauricie. À 25 ans, après sa dernière grossesse, elle savait qu’elle ne voulait pas d’autre enfant. Elle a toutefois attendu la trentaine pour entamer les procédures pour subir une ligature des trompes. Avant 30 ans, elle est persuadée qu’on lui aurait refusé l’intervention.  

Six mois après en avoir fait la demande à son médecin de famille, elle a eu une consultation en gynécologie.  

«J’étais vraiment nerveuse. J’allais à la guerre, je voulais gagner mon argumentaire. Je voulais qu’elle accepte de m’opérer», raconte la mère de famille. 

Elle avait néanmoins de l’espoir. Elle avait rendez-vous avec une femme gynécologue plus jeune que les gynécologues hommes croisés dans sa région. Selon elle, ces derniers n’auraient jamais accepté de l’opérer. 

La rencontre a été somme toute positive, se souvient Amélie Paré.  

Après plusieurs questions, la médecin lui a demandé pourquoi, après 10 ans de couple, ce n’était pas son conjoint qui se faisait opérer [vasectomiser].  

«Je lui ai dit: “Écoutez, mon conjoint, il fera ce qu’il veut avec son corps. Si un jour, on n’est plus ensemble, s’il décide de refaire sa vie, d’avoir d’autres enfants, ça lui appartient. Moi, ce que je vous dis aujourd’hui, c’est que peu importe si je reste avec ce conjoint pour le restant de mes jours ou qu’on se laisse la semaine prochaine [...], moi, je ne serais plus maman d’autres enfants, biologiquement parlant. C’est terminé”», raconte-t-elle.  

Après son plaidoyer, la gynécologue a tenté de la guider vers la contraception hormonale, comme la pilule. Amélie Paré est toutefois tombée enceinte de sa fille ainée alors qu’elle prenait la pilule. Elle en avait aussi assez de la contraception hormonale, après 15 ans. La pilule n’était donc plus une option.  

«Je vous le dis, si je tombe enceinte demain matin, je vais me faire avorter, a-t-elle alors lancé à la médecin. Je n’en veux plus d’enfants. C’est mon pire cauchemar de tomber enceinte, j’en rêve la nuit.» 

Si elle s’attendait à se faire challenger par la gynécologue sur sa décision, elle a senti, tout au long de la rencontre, que si elle ne répondait pas la bonne chose, on lui refuserait son opération. Elle croit d’ailleurs que le fait qu’elle soit infirmière l’a aidée à se faire entendre.  

«Est-ce que quelqu’un de mon âge dans ma situation socioéconomique qui n’était pas infirmière aurait pu être opéré, n’ayant pas le vocabulaire et les arguments que j’avais? Je ne sais pas.» 

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L’utérus vu comme une propriété publique  

Certains médecins au Québec sont réticents à pratiquer la ligature des trompes de Fallope, particulièrement aux femmes sans enfant.  

Historiquement, on recommandait aux médecins d’être très prudents, parce qu’il y avait un certain pourcentage de personnes qui regrettaient l’opération, surtout avant 30 ans, affirme le directeur du Département d'obstétrique, gynécologie et reproduction de l'Université Laval, Mathieu Lebœuf.  

«Il ne faut pas oublier que c’est une procédure qui est permanente, souligne le gynécologue. Si une patiente hésite, il ne fera pas la procédure.»  

Dans certains cas, la ligature avec des «clips» peut être réversible, mais les taux de fécondités par la suite sont faibles. Il est aussi possible d’opter pour la fécondation in vitro, mais celle-ci ne sera pas prise en charge par l’assurance maladie si la personne est ligaturée. 

Avant 1960, la Société savante des gynécologues américains recommandait de multiplier l’âge de la femme qui souhaitait se faire ligaturer les trompes par le nombre d’enfants qu’elle avait eu, explique Mathieu Lebœuf. Si le résultat était plus bas que 100, l’opération lui était refusée.  

«Aujourd’hui, la recommandation est que si une patiente accepte, comprend et désire une ligature tubaire, peu importe son âge, c’est correct», affirme le médecin. Il reconnaît néanmoins qu’il y a encore de la résistance parmi les médecins.     

«Malheureusement, de façon historique, la société a beaucoup de misère à ne pas se mêler de la fertilité des femmes. L’utérus est [encore vu comme] une propriété publique», déplore le médecin.  

«Ce n’est pas parce qu’elle est une femme qu’elle ne peut pas prendre de décision, poursuit-il. Une femme ne se réduit pas à être un utérus mobile et à faire des bébés.»  

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