En tournée au centre-ville avec le SPVM : «on veut tenter d’humaniser l’uniforme»

Tandis que le centre-ville de la métropole fait face à une recrudescence de la violence et de la toxicomanie, 24 heures a accompagné une escouade spéciale du SPVM chargée de créer des liens avec les populations marginalisées plutôt que de faire de la répression. Compte-rendu de notre expérience.
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Le rendez-vous est donné au quartier général du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), rue Saint-Urbain. La tournée aura lieu – sous la pluie – dans le quartier chinois, en compagnie du sergent Laurent Gingras, de l’agente Maude Despaties et du conseiller en développement communautaire (CDC) Roch Fortuné.
À eux trois, ils forment une escouade de l’Équipe de concertation communautaire et de rapprochement (ECCR). Cette nouvelle équipe permanente de la police montréalaise a été mise sur pied en avril 2021. Elle est aujourd’hui présente dans 15 secteurs où il existe des problématiques de cohabitation (Ville-Marie, Le Village, Le Plateau-Mont-Royal, Saint-Léonard, Montréal-Nord, Pointe-aux-Trembles, etc.).
Son mandat? Aller à la rencontre des personnes itinérantes, des intervenants communautaires ou des citoyens en vue d'améliorer la cohabitation et d’assurer la sécurité de la population.
Pour accompagner la trentaine de policiers de l’ECCR, cinq patrouilleurs civils ont été recrutés pour leur connaissance du terrain et du milieu communautaire. C’est le cas notamment de Roch Fortuné, qui a rejoint l’ECCR en octobre dernier. Titulaire d’un bac en communication, le jeune homme d’origine haïtienne a travaillé pendant plusieurs années au sein des communautés autochtones. Il voit d’un très bon œil la création de ces nouvelles équipes mixtes du SPVM.
«Les acteurs communautaires sur le terrain me connaissent, je peux sentir la différence. Pour certains partenaires, l’uniforme peut faire peur ou être un frein, admet-il. Mais quand on prend le temps d’expliquer ce qu’on fait, ils finissent par dire que c’est louable comme mission. C’est une approche qui permet aux gens de s’ouvrir plus.»
Parti à pied du quartier général du SPVM, le trio arrive dans la ruelle Brady, à l’angle de la rue Clark et du boulevard René-Lévesque.
Dans cette cour coincée entre les édifices du centre-ville, des bâches tendues permettent à la dizaine de personnes présentes de se mettre à l’abri pour fumer une cigarette ou tirer sur une pipe à crack.
«C’est sûr qu’il y des enjeux de consommation, mais la judiciarisation n’est pas toujours la solution. On se donne les outils pour réduire la criminalité et réduire l’impact sur les populations», prévient le sergent Laurent Gingras.
«Parmi les gens qui sont ici, certains nous connaissent, connaissent nos visages. Nous, on connaît nos clients. Bon, on se fait quand même demander tous les jours qui on est», plaisante-t-il.
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«On ne vient pas en voiture, alors les gens sont moins hésitants à venir nous parler. Et puis, on a le temps, le contact est plus facile. On en fait un peu moins mais on le fait un peu mieux», souligne le sergent Gingras.
D’autant plus que pour faciliter son travail au quotidien, l’équipe ne fait pas dans la répression, sauf à de rares exceptions.
«Nous faisons dans le rapprochement, pas dans la répression, à moins qu’il y ait une plainte. On ne veut pas mettre à mal notre travail de rapprochement.»
Patrick, casquette sur la tête et hoodie noir sur le dos, s’approche pour discuter un peu avec Maude et Roch. Il est nouveau par ici mais n’hésite pas à entamer la conversation.
L’homme explique qu’il est hésitant d'aller dans un refuge. L'uniforme ne semble pas l’intimider.
«C’est la première fois qu’on le rencontre, indique Roch. Le refuge, ce ne sera pas pour lui, pas cette fois. Peut-être la prochaine. On a créé un lien, c’est le plus important.»
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Le trio remonte désormais la rue de la Gauchetière, qui traverse le quartier chinois d’Ouest en Est.
«Lors de nos tournées, on parle aux commerçants, on prend le pouls. On leur donne parfois des conseils en matière de sécurité. On crée du lien avec commerçants. Eux, ils peuvent nous donner des infos intéressantes sur l’état du terrain», indique encore le conseiller en développement communautaire.
Passé la rue St-Dominique, le trio rencontre Moses et Romacus, deux intervenants du Centre d'amitié autochtone de Montréal (CAAM) dont la mission première est d'améliorer la qualité de vie dans la communauté autochtone urbaine.
«On travaille avec la police pour améliorer les relations avec la communauté autochtone, précise Moses, qui se réjouit de cette "meilleure connexion" avec les services de police. Les gens dans la rue ne voient pas le SPVM d’un bon œil. Alors, c’est sûr que cette nouvelle équipe change l’approche. Le monde n’a plus peur de demander de l’aide à la police.»
Un peu plus loin d’ailleurs, un homme interpelle l’escouade. Il se cherche des souliers, «du 13». Le trio lui conseille de se tourner vers les missions d’accueil environnantes.
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«Notre but, ce n’est pas de mettre les personnes itinérantes ailleurs dans la ville, confie l’agente Maude Despaties. On veut plutôt qu’elles se tournent vers un refuge. Ces gens-là ont plus besoin d’aide au niveau de la santé que de la police. Bien souvent, ils n’ont même pas de carte de maladie... On doit les aider à devenir quelqu’un. Si nous on les lâche, ce sera plus dur encore pour ceux d’après.»
L’agente du SPVM, qui se définit comme «une femme de prévention», veut mettre un peu plus en avant l’humain derrière l’uniforme.
«C’est pas juste moi, c’est l’uniforme en général qui rend le travail de la police parfois difficile. Nous on a le temps de créer du lien avec ces populations, pas les autres patrouilleurs.»
Humaniser l'uniforme, c'est un souhait partagé par Alexandre Lelièvre, commandant du SPVM et responsable de l'ECCR. «Les policiers ont une bonne connaissance du milieu criminel et communautaire. Mais la police ne peut pas régler tout, toute seule. Tout le monde doit mettre la main à la pâte. Avec les personnes en proie à des problèmes de santé mentale, de consommation, ou d’itinérance, il est parfois difficile de créer des relations. On veut donc tenter d’humaniser l’uniforme.»