Les valoristes, ces gens qui vivent (ou survivent) grâce à la consignation | 24 heures
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Les valoristes, ces gens qui vivent (ou survivent) grâce à la consignation

Image principale de l'article Vivre (ou survivre) grâce à la consignation
Photo Alejandra Carranza

Vendredi matin: les parcs et les rues de la ville sont propres. Dans l’ombre, les valoristes — ces personnes qui vivent ou survivent grâce à la consignation des canettes et des bouteilles — ont effacé toutes traces des 5 à 7 de la veille. Ce travail difficile, souvent cible de préjugés, est pourtant essentiel pour assurer la récupération des consignes au Québec, en perte de vitesse depuis 10 ans.

Malgré la consigne, plus de 825 millions de bouteilles et de canettes ont pris le chemin du dépotoir en 2022, selon les données de RECYC-QUÉBEC obtenues par 24 heures

Le taux de récupération des contenants consignés a même diminué de 4% depuis 2013. La baisse n’est pas immense, mais elle étonne avec le discours environnementaliste qui a pris de l’ampleur dans les dernières années. 

«Il y a tellement une surabondance de gaspillage de contenants consignés à Montréal. Il y en a de plus en plus! C’est fou comme les gens consomment et jettent n’importe quoi!», raconte Francis Berthelette, valoriste depuis six ans dans la métropole, mais qui collecte les consignes depuis aussi longtemps qu’il se souvienne. 

À sa sortie de prison en 2017 [pour culture de cannabis illégale dans le sous-sol de son ancienne maison de Magog], il atterrit dans les rues de Montréal après avoir fini sa sentence à l’établissement Archambault, à Sainte-Anne-des-Plaines. 

«Ramasser les consignes, c’est la première chose que j’ai faite pour avoir de l’argent», poursuit Francis, en faisant visiter son campement installé depuis le mois de mai sur le terrain de Ray-Mont Logistiques dans l’est de la ville. 

Il ne cache pas son passé criminel et ses démêlés avec la justice.

Sous sa grande tente d’armée — équipée d’un matelas double en mousse mémoire et d’une base de lit — dans laquelle il peut de tenir debout, il a creusé une fondation puis fabriqué un plancher isolé avec des tapis d’exercice.  

Photo Alejandra Carranza 

Des murets de pierre «pour délimiter le terrain, prévenir l’érosion du sol et retenir l’eau de pluie», commente Francis, ont également été construits. Des fleurs plantées ici et là complètent le décor. 

Photo Alejandra Carranza 

«Ce n’est pas parce que je suis dans la rue que je ne peux pas être confortable», lance-t-il. 

«On n’est pas tous des crackheads»

La collecte fournit ainsi à Francis un revenu d’appoint en plus de son salaire au dépôt de la coopérative d’économie sociale Les Valoristes, qui occupe le site de L'îlot Voyageur, près de la station Berri-UQAM à Montréal, où il est employé à temps plein depuis près d’un an. 

Et être valoriste fait une grosse différence dans ses poches. Il estime que ce travail lui rapporte plusieurs milliers de dollars annuellement. 

«Personne ne se met riche ou millionnaire en ramassant des cans», fait valoir Francis. «Mais les vrais ramasseurs à plein temps qui connaissent leurs affaires peuvent se faire jusqu’à 20 000$ par année. Mais tu travailles fort en maudit. Certains ont des contrats avec des bars aussi. Chacun a ses spots, et ne t’avise pas de les voler. On est dans la rue, ça marche aux poings sur la gueule.» 

Il prévient toutefois que ce travail n’est pas pour tout le monde. 

«C’est sale et c’est difficile comme job, ça équivaut à laver des toilettes. Il faut connaître la consigne. C’est long pour ceux qui ne savent pas quels contenants sont consignés», explique-t-il. «Il y aussi beaucoup de préjugés, l’idée que ceux qui ramassent les bouteilles sont des crackheads. Mais ce n’est pas vrai.» 

Photo Alejandra Carranza 

«Je n’ai jamais eu la honte de ramasser les canettes et les bouteilles vides. Je connais ma valeur», affirme Francis, qui observe par ailleurs une hausse du nombre de valoristes dans la dernière année, après une montée abrupte et rapide des prix en 2022. 

«On constate aussi une augmentation du flux de consignes à notre dépôt», confirme la cofondatrice de la coopérative Les Valoristes, Marica Vazquez Tagliero. 

Cet «argent gratuit», comme l’appelle Francis, permet ainsi à plusieurs d’arrondir leurs fins de mois de plus en plus difficiles à boucler. 

Francis Berthelette est valoriste depuis six ans à Montréal.

Photo Alejandra Carranza 

Francis Berthelette est valoriste depuis six ans à Montréal.

«Quelqu’un vient de jeter 5 cennes, tu trouves 5 cennes. C’est de l’argent gratuit», résume-t-il. «Une canette laissée par terre, c’est comme ignorer une opportunité de faire des piasses.» 

Les valoristes regardés de haut

Le dépôt des Valoristes — le seul comptoir de retour, de tri et de remboursement de contenant consignés à Montréal — permet ainsi aux personnes qui collectent de grandes quantités de consignes de les échanger contre de l’argent liquide. 

Les sacs y sont comptés manuellement par des employés, comme Francis. Et la coopérative accepte presque tout contrairement aux gobeuses dans les épiceries: des contenants écrasés aux bouteilles de vin qui ne sont pourtant pas consignées. 

Photo Aliette St-Pierre 

Et c’est beaucoup plus rapide que dans les commerces. Alex, valoriste depuis 2020, raconte avoir passé trois heures à la gobeuse d’un détaillant pour 40$ de consignes. 

«Au dépôt, c’est une histoire de 5 à 10 minutes, et l’aspect humain est vraiment important pour eux», mentionne Marica Vazquez Tagliero. 

Les valoristes dénoncent être souvent regardés avec mépris dans les épiceries et les dépanneurs, et se voient parfois même refuser le remboursement de leurs consignes. Ces commerces sont pourtant obligés de reprendre les contenants selon la loi, même s’ils ne vendent pas la marque rapportée. 

«Il y a beaucoup de dénigrement des valoristes de la part des détaillants. On les entend dire des choses horribles sur eux», déplore le directeur du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets (FCQGED), Karel Ménard. 

«Ils effectuent pourtant un travail dont tout le monde a besoin et ça évite à plusieurs personnes de tomber dans l’itinérance. Ils font un très bon travail au niveau de la salubrité et du maintien des espaces verts. Un parc est beaucoup plus propre après le passage d’un valoriste», illustre-t-il. 

La moitié de la récolte de Francis provient d’ailleurs de canettes écrasées dans les rues ou abandonnées dans les bois. 

La consigne: le meilleur moyen de recycler

Le montant de la consigne sur les canettes en aluminium fixé à 5 cents est le même depuis 1984, année où la récupération des contenants consignés a été introduite au Québec. 

«Il y a 10 ans déjà, on estimait qu’elle devait être à 10 sous. Le prix trop faible de la consigne est une des raisons pourquoi elle a décru au cours des dernières années», indique Karel Ménard. 

Il croit que le montant devrait être indexé à 20 cents au moins. 

«Si le montant est faible et non visible, ça ne convainc pas les gens de rapporter», ajoute le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau. «Ça fait 40 ans que la consigne est à ce prix. Si ça valait plus d’argent, si la consigne avait été indexée à l’inflation, les gens feraient plus l’effort de retrouver leur argent.» 

Un élargissement de la consigne sur l’ensemble des contenants de plastique, de verre et de carton était d’abord prévu en novembre 2022, puis reporté à 2023, pour être nouveau repoussé à 2025.  

Photo Alejandra Carranza 

La consigne est pourtant le meilleur moyen d’encourager la récupération, selon les spécialistes interrogés par 24 heures

Notamment, parce que la matière — l’aluminium, le plastique et le verre — qui sort des centres de tri au Québec est bien souvent contaminée et ne peut être réutilisée. Près de 70% des bouteilles d’eau et 60% des bouteilles de vin déposées dans le bac de recyclage finissent à l’enfouissement, par exemple. 

Si tout se passe comme prévu, le gouvernement Legault fera passer de 5 à 10 cents la consigne sur les canettes le 1er novembre prochain. Les contenants en aluminium comme les boîtes de conserve et les pots devraient aussi faire partie de la nouvelle consigne élargie. 

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