50 ans du hip-hop: 11 heures de musique pour placer Montréal sur la map

DJ Manifest et Kevin Calixte
Alors que les 50 ans du hip-hop seront bientôt célébrés en grand au sud de la frontière, la communauté hip-hop montréalaise se réunit lors d’un événement qui fera date... et pour se placer définitivement sur la map.
Tout a commencé le 11 août 1973. Ce jour-là, dans le Bronx, à New York, le DJ d’origine jamaïcaine Kool Herc crée pour la première fois des boucles (breaks) à partir de chansons soul et funk sur ses platines lors d'une soirée. Le hip-hop est né.
50 ans plus tard, des événements hommage à cette journée sont organisées un peu partout sur la planète.
À New York, par exemple, les textes de Jay-Z s’affichent sur les façades de la grande bibliothèque de Brooklyn et le Yankee Stadium va accueillir un concert monstre avec les pionniers du genre: DJ Kool Herc, bien sûr, mais aussi Kurtis Blow, The Sugarhill Gang, Roxanne Shante, Ice Cube, Snoop Dogg ou encore Run DMC.
La scène montréalaise n’est pas en reste puisqu’un block party sera organisé le samedi 5 août au parc Vinet dans Petite-Bourgogne. Au programme de cet événement gratuit et ouvert à tous: des beats, des MCs, des DJs, de la danse et du graffiti dans un des quartiers les plus emblématiques du hip-hop à Montréal, la Petite-Bourgogne.
De midi à 23h, l’événement réunira notamment Rainmen, les DJ Manifest et Godfather D, Nicholas Craven ou encore la chanteuse Meryem Saci et rendra ainsi hommage au hip-hop et à ses cinq décennies d’existence à Montréal.
On en discute avec Kevin Calixte, un touche-à-tout aux multiples casquettes et organisateur de l’événement, et DJ Manifest, l’un des pionniers du hip-hop au Québec — connu notamment pour accompagner Koriass sur scène.
Le 5 août prochain, Montréal va célébrer le 50e anniversaire du hip-hop à l’occasion d’une grande célébration en plein air. Comment l’idée vous est venue d’organiser un tel événement?
Kevin Calixte : Je voulais faire quelque chose pour célébrer le hip-hop, à Montréal, car je sentais qu'il n'allait pas y avoir d’événements comme ça (comme aux États-Unis, NDLR). Quand je parlais à des gens et que je leur demandais «Tu sais en quelle année on est? Est ce que tu sais que le hip-hop a 50 ans?», la réponse était toujours négative. Et je parle de personnes qui sont dans le hip-hop, qui sont des personnes reconnues ici !
Je me suis donc demandé si Montréal allait passer à travers alors qu'on vit quand même dans une ville qui a vraiment été présente dans l'évolution du hip-hop.
Je ne voulais pas qu'on puisse s'exclure de quelque chose dans lequel Montréal a été extrêmement impliquée. Le hip-hop à Montréal a commencé pour moi avec les battle crews, au début des années 80. Il y avait des crews ici qui partageaient la scène avec des MCs qui venaient de New York. Il y avait déjà vraiment cette proximité-là.
Et tu as donc décidé d’organiser un block party?
Kevin Calixte: Un bloc party, c'est quelque chose d'organique: tu prends un coin de rue, tu arrives là... et boum! Il y a un DJ, puis le monde est là. C'est comme une célébration, à l’échelle d’un arrondissement. Ce n'est pas quelque chose planifié comme un festival.
DJ Manifest: La beauté du block party, c'est surtout prendre la peine de célébrer, de discuter, d'apprendre à se connaître. Je pense que ce genres de rendez-vous dans les parcs comme ça, c'est quand même les meilleures façons de se découvrir à tous les niveaux. On dirait qu'il y a une légèreté dans un parc qui favorise les échanges.
Pourquoi avoir choisi de l’organiser dans Petite-Bourgogne?
Kevin Calixte: Je voulais ramener un peu la lumière sur ce bord-là, alors que la majorité des activités sont maintenant organisées à la Place des Arts... Little Burgundy, c'est LA référence de la musique. Déjà, à l’époque des clubs de jazz, il y avait dans Little Burgundy le Rockhead's Paradise, un club où les musiciens américains venaient jouer régulièrement. Aux States encore, les personnes qui connaissent très bien le jazz savent de quoi je parle.
Comment la scène locale a réagi à ton invitation?
Kevin Calixte: Beaucoup de personnes vont certainement se demander pourquoi j’ai pas mis untel ou untel. Mais c'est pas comme ça que tu fais ce genre de programmation. Si je choisis de mettre lui ou lui, c'est parce qu'il représente quelque chose. Pour moi ce qui était important, plus que des noms, c'est de représenter l’un des éléments du hip-hop: le rap, le graffiti, le b-boying ou le DJing.
Quand j'ai parlé à Youri de Rainmen de l’événement, il m’a dit «moi, cette année, je vais célébrer le 25e anniversaire de Armageddon» (le premier album du duo montréalais, NDLR). J'ai dit «bro, 25 ans d'un album qui est pour moi un classique, il faut qu'on célèbre...» Il y en a pas beaucoup comme ça qui peuvent dire «OK, j'ai 25 ans dans le rap». Ils font partir chronologiquement de quelque chose d'important. Je me suis dit, je les booke. Ce sont les premiers artistes que j'ai annoncés.
NazBrok, un gros producteur, m'a dit qu'il avait travaillé dernièrement avec Meryem Saci. Comme je voulais aussi représenter le côté «Female MC» et que Meryem, j'ai toujours vu le talent et le potentiel qu'elle avait, j'ai eu envie de l’inviter. C'est quelqu'un qui peut autant chanter que rapper, elle sait tout faire...
DJ Manifest: ... et elle vient de faire un album avec Akhénaton. C’est complétement fou!
Et le reste de la programmation, il ressemble à quoi?
Kevin Calixte: J'ai été de façon le plus organique possible.
Kevin Calixte: Quand j'ai partagé l’événement, le producer Nicolas Craven m'a DM, il m'a dit «yo c'est dans mon hood», il habite dans Little Burgundy. Il m'a dit «Put me in». Il va participer avec le MC Jimmie D, qui est aussi un gars de Little Burgundy.
Kevin Calixte: DJ Manifest, je peux avoir une conversation de près de 5 heures de hip-hop avec lui. Alors je me suis dit «c'est un no brainer faut que je l'inbox». Je lui ai dit «j'ai cet événement-là, you need to be part of it».
Quand je lui ai dit que Godfather D serait là aussi, il m’a dit «tu sais quoi, je crois qu'on peut faire quelque chose les deux ensemble».
C'est pas des gens avec qui j'ai dû argumenter. C'était vraiment une conversation. Moi je suis dans l'esprit d'une célébration, où on redonne au hip-hop.
Entre les incontournables que sont New York ou Los Angeles, mais aussi entre des places comme Philadelphie ou même Toronto, Montréal a-t-elle réussi à se faire un nom dans le hip-hop?
DJ Manifest: Je pense qu'à la base, on a toujours été un peu les petits frères de la scène à Montréal, parce que on n'est pas aussi présents que d’autres villes, même si on a plein d'artistes talentueux, des DJ, tout ça... Il y a un respect évidemment sur notre ville, ça c'est sûr et certain, mais on parle souvent de Toronto quand on mentionne le Canada. Depuis quelques années, je pense quand même qu’on est pratiquement au même niveau.
Kevin Calixte: Je pense que ce qui nous aide beaucoup, c'est les producers comme Planet Giza (trio montréalais formé des beatmakers Rami B et DoomX ainsi que du MC Tony Stone), «Kaytra» (Kaytranada, nommé trois fois aux Grammys), Dirt Work...
DJ Manifest: ... ou Nicholas Craven (qui a notamment collaboré avec des grands noms de la scène américaine, européenne et canadienne de Akhenathon du groupe IAM en France à Mike Shaab ici au Québec).
Kevin Calixte: Y en a plein qui se disent maintenant «yo you wanna fuck with a good sound?», puis ils mentionnent Montréal.
DJ Manifest: Sur la scène des DJ aussi, il y en a beaucoup qui sont reconnus. GodFather D par exemple, c'est un gars qui est là depuis longtemps et qui est respecté, au-delà de la ville de Montréal.
C’est quoi vos coups de cœur actuels sur la scène montréalaise ?
Kevin Calixte: À Montréal, Ya Cetidon c'est mon gars. Lui, il sera présent pour un autre événement que j'organise le lendemain. Il fait du rap mais aussi du afro, du afro trap aussi. J'adore vraiment son vibe, son style.
DJ Manifest: Ya Cetidon, c'est une découverte pour moi cette année. Je considère que c'est un des artistes qui a tout compris, Je l'ai vu performer cet été, il a fait un show ici aux Francos, c'est un performer. Il est excellent, il a du charisme, je le trouve vraiment talentueux.
Kevin Calixte: Ya Cetidon, hands down, révélation de l'année pour moi.
DJ Manifest: Moi, j'aime beaucoup parler de Mike Shabb. C'est un des artistes d'ici qui est le plus ancré dans ce que le hip-hop représente. Son âge, ses intérêts, sa constance musicale... Je trouve que c'est un jeune qui est comme une éponge. Tous les gens qu'ils rencontrent dans son parcours l'influencent et ça s'entend dans sa musique. C'est un jeune qui n'a pas peur d'essayer aussi des vagues musicales qui sont parfois trendy, mais qui sont aussi parfois juste issues de ses goûts personnels. Moi, je trouve qu'il a une carrière qui est déjà enclenchée, mais qui va, s'il continue avec cette constance-là, aller très loin.