L'autodéfense féministe contre le harcèlement de rue | 24 heures
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L'autodéfense féministe contre le harcèlement de rue

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«Ben là, ta jupe était ben trop courte!», «C’était quoi l’idée de passer par la ruelle aussi?», «Bon, tu étais saoule encore?»: les femmes qui subissent du harcèlement de rue ont souvent à encaisser ce genre de commentaires. Les cours d’autodéfense féministes, de plus en plus populaires, cherchent à déconstruire ces idées reçues et à redonner du pouvoir aux femmes et adolescentes dans l’espace public.

«Le harcèlement de rue est souvent minimisé à Montréal. On dit que ça n’existe pas. On a tendance à banaliser des commentaires ou des comportements — comme des sifflements — qui peuvent être perçus comme un compliment. On dit que ça ne fait pas de mal», signale la chercheuse doctorale en sociologie à l’UQAM et coautrice du premier rapport sur le harcèlement de rue à Montréal publié en 2021, Mélusine Dumerchat. 

Ces violences — le fait de recevoir des insultes, des menaces ou des commentaires à connotation sexuelle ou raciste, d’être suivie, de subir des attouchements et des sifflements — sont pourtant une réalité bien ancrée dans la métropole, comme le révèle le rapport produit par le Centre d’éducation et d’action des femmes de Montréal (CÉAF). 

Elles se produisent partout: dans la rue, sur le trottoir, dans un parc, dans le transport en commun, dans un café ou un restaurant. 

Près de 70% des femmes qui ont participé à l’étude du CÉAF affirment avoir déjà subi du harcèlement de rue entre 2020 et 2021. Le taux grimpe à 84% pour les minorités sexuelles et de genre. 

Et plus les femmes sont jeunes, plus elles le subissent, nous apprend l’étude. Près de 50% des participantes disent avoir subi leur première expérience de harcèlement de rue quand elles étaient mineures, la plupart à l’âge de 10 ou 11 ans. 

Ces chiffres colligés pendant la pandémie sous-estiment probablement la réalité sur le harcèlement de rue, selon l’équipe de recherche, alors que les confinements et la distanciation sociale ont pu fausser les données. 

Des règles qui ne protègent pas

Des milliers de femmes et adolescentes ont suivi la formation d’autodéfense du Centre de prévention des agressions de Montréal (CPAM) depuis 1984 — dont la mairesse Valérie Plante qui a été instructrice au CPAM en 2004. 

Les cours ne misent pas seulement sur la force physique. 

«On est dans une philosophie d’empowerment», lance l’instructrice d’autodéfense féministe au CPAM, Béatrice Châteauvert-Gagnon. 

«Parce que le problème du harcèlement de rue est plus à long terme, explique-t-elle. Quand ça s’accumule, les femmes commencent à développer des tactiques d’évitement. Ça affecte la manière dont elles s’habillent, ce qu’elles font, où elles vont, comment elles se promènent dans l’espace public [...] où elles ont déjà beaucoup de règles de sécurité à suivre.» 

Dans certaines villes comme New York, Paris et Londres, de plus en plus de femmes adoptent la tendance du «subway shirt» dans le métro, par exemple. Des chemises oversized ou des chandails amples sont portés par-dessus une tenue plus légère pour se protéger des regards inquisiteurs. 

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«Surveiller son verre dans un bar, ne pas être trop saoule, ne pas se promener seule la nuit, ne pas parler aux inconnus, ne pas s’habiller trop sexy: ces règles ne nous protègent pas. On se fait encore harceler et agresser», déplore Mme Châteauvert-Gagnon. 

Et en cas d’agression, les femmes se sentent encore plus coupables de ne pas avoir respecté toutes les règles de la parfaite citoyenne dans l’espace public, précise-t-elle. 

Briser les mythes du harcèlement de rue

«On entend souvent que ce sont les femmes qui provoqueraient le harcèlement de rue, par leurs comportements, leur tenue vestimentaire ou le fait d’être moins couverte l’été», illustre Mélusine Dumerchat. 

Cette idée a été complètement démentie par les études sur le terrain. 

«On réalise que les femmes sont harcelées, peu importe leur tenue, l’heure de sortie, où elles vont, ce qu’elles font et peu importe la saison. Ça n’a rien à avoir avec elles», indique la chercheuse. 

Les cours d’autodéfense féministes offerts au Centre de prévention des agressions de Montréal visent ainsi à déconstruire les mythes — tenaces — associés au harcèlement de rue. 

«Notamment, le fait qu’il serait commis par les hommes racisés, immigrants, des classes populaires, en situation d’itinérance ou usager de substances psychoactives, cite Mme Dumerchat. Mais d’après les recherches qu’on a pu mener à Montréal et ailleurs, il n’y a pas de catégories d’hommes qui sont plus enclines à harceler ou à agresser. Les violences commises contre les femmes traversent toutes les catégories d’hommes.» 

«C’est un gros préjugé qui alimente des stéréotypes racistes, commente quant à elle Mme Châteauvert-Gagnon. En rejetant le problème sur certaines catégories d’hommes, ça permet à d’autres de continuer à harceler sans problème.» 

S’autoriser à répliquer

Ces stéréotypes, donc, alimentent le sentiment de peur que des femmes et adolescentes entretiennent lorsqu’elles sortent en public ou même dans l’espace privé, où se produit la majorité des violences faites aux femmes. 

Mais une fois qu’ils sont brisés, il est possible de changer les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes, croient les instructrices. 

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«Le but des cours d’autodéfense n’est pas de renforcer la peur ou l’hypervigilance», assure Béatrice Châteauvert-Gagnon, qui rappelle que la seule personne responsable d’une agression est celle qui la commet. 

«On essaie plutôt de démontrer qu’on peut choisir de riposter, qu’on peut choisir de ne plus tolérer ces comportements, que ce soit dans la rue avec des inconnus ou avec des gens qu’on connaît, poursuit-elle. On demande aux femmes de rester polie et gentille dans la société. Dans plusieurs cas, on ne s’autorise juste pas à faire respecter nos limites.» 

Différentes techniques sont enseignées pour briser le cycle de l’agression et se sortir d’une situation de violence. Et elles n’impliquent pas forcément la force physique. 

«Un cri, un regard affirmé, une respiration profonde avant de parler ou de s’exprimer de façon verbale: toutes les stratégies ont vraiment prouvé leur efficacité», souligne Mélusine Dumerchat, qui enseigne l’autodéfense au CPAM depuis un an. 

Ces techniques s’appliquent, peu importe sa condition physique. 

«On enseigne à des femmes de toutes les origines, les orientations sexuelles et sur le spectre de l’identité de genre. Elles sont toutes capables de choisir les outils qui leur conviennent», précise Béatrice Châteauvert-Gagnon. 

Et les effets de cette formation «sont magiques», lâche Mélusine Dumerchat, euphorique. 

«On le voit dans les cours. Quand elles reviennent pour la deuxième séance, plusieurs nous disent qu’elles sont déjà mises en pratique certaines notions. Ça change vraiment leur rapport au monde en général.» 

«On pense vraiment que l’autodéfense peut convaincre certains agresseurs de reculer», conclut Mme Châteauvert-Gagnon. 

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