Atrocités envers les Autochtones: devrait-on renommer l’avenue Christophe-Colomb à Montréal? | 24 heures
/societe

Atrocités envers les Autochtones: devrait-on renommer l’avenue Christophe-Colomb à Montréal?

Image principale de l'article Devrait-on renommer l’avenue Christophe-Colomb?
Photomontage Marilyne Houde

Les atrocités que Christophe Colomb a infligées aux Autochtones justifient-elles que l’on renomme l’avenue qui porte son nom à Montréal? La question refait surface depuis la semaine dernière, alors qu’une pétition à cet effet a été signée par plus de 200 Montréalais.

Longue de 8,5 km, l’avenue Christophe-Colomb traverse Le Plateau-Mont-Royal, Rosemont–La-Petite-Patrie, Villeray-Saint-Michel–Parc-Extension et Ahuntsic–Cartierville. C’est l’une des artères les plus connues de Montréal. 

Les signataires de la pétition estiment que l’explorateur ne mérite pas de voir nom associé à une telle avenue. Ils reprochent à Christophe Colomb d’être responsable de nombreuses atrocités visant les Autochtones qui peuplaient les îles des Caraïbes où il est débarqué en 1492.

Ils demandent donc à la Ville de reprendre le nom que portait la route avant 1897: boulevard des Ormes. 

Martin Pâquet, historien et professeur d’anthropologie au Département des sciences historiques de l’Université Laval, ainsi que Sébastien Brodeur-Girard, professeur à l’École d'études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), répondent à nos questions.

Qu’est-ce qui est reproché à Christophe Colomb? 

Christophe Colomb fait l’objet de contestations depuis «plus de 40 ans», souligne d’emblée Martin Pâquet. 

«La notion de découverte de l’Amérique est contestée, parce qu’il ne l’a pas vraiment découverte. Les Vikings et les pêcheurs basques y sont venus avant lui. Ensuite, il ne faut pas oublier que l’endroit était déjà peuplé», rappelle-t-il. 

C’est justement le sort que Christophe Colomb a réservé aux peuples autochtones qui ont croisé son chemin qui dérange. Comme il a été un des premiers Européens à arriver en Amérique, il a entrepris le mouvement de colonisation de ces peuples, souligne Sébastien Brodeur-Girard. 

«Il devient emblématique de tous les impacts qu’a eus cette colonisation, notamment parce qu’il a mis en place un système fondé sur l’esclavage, sans aucun respect pour les populations qui existaient à ces endroits», insiste-t-il.

Esclavage, violence sexuelle, tortures publiques, massacres: plusieurs documents de l’époque brossent le portait d’un tyran responsable de nombreux crimes envers les Autochtones.

Ces atrocités, combinées aux maladies amenées par les Européens, ont contribué à l’extinction de ces populations, renchérit Martin Pâquet. 

«Il a pris part à une entreprise qui a permis l’extermination des Autochtones sur l’île Hispaniola [où se trouve aujourd’hui Haïti et la République dominicaine]. Ç’a été très efficace, parce qu’aujourd’hui, il n’y a plus d’Autochtones dans les Caraïbes. Ils ont été exterminés. Ils ont soit été tués, soit ils sont morts de maladie, soit ils sont morts de la famine» détaille-t-il.

Selon diverses estimations, l’île d’Hispaniola comptait environ 300 000 habitants quand Colomb et son équipage y ont mis le pied pour la première fois. 

Était-il simplement un homme de son temps ?

Christophe Colomb a hissé les voiles vers l’Amérique en 1492. L’année marquait la fin de la reconquête (reconquista), une période pendant laquelle les chrétiens et les musulmans se sont fait la guerre pendant près de 800 ans dans la péninsule Ibérique. 

L’équipage de Colomb était ainsi constitué de nombreux guerriers qui ont trouvé un débouché en Amérique. Ils y ont exporté leurs manières militaires, explique Sébastien Brodeur-Girard.

«À cette époque-là, le pillage, la barbarie, le viol et tout, ça faisait partie du quotidien. On baignait un peu dans cet univers-là. Donc, à cet égard, c’est un homme de son époque», dit-il. 

Ce n’est toutefois pas parce que ces barbaries étaient rependues qu’elles étaient acceptées, nuance l'anthropologue.

«Il faut être conscient qu’à l’époque, il y a beaucoup de gens qui étaient tout à fait contre ces pratiques et qui ont dénoncé ces comportements», martèle-t-il.

M. Brodeur-Girard souligne d’ailleurs que Bartolomé de las Casas, un des premiers aventuriers à suivre les traces de Christophe Colomb, a fortement dénoncé les atrocités commises lors de la colonisation.

«Il est devenu prêtre et est aujourd’hui connu comme un des grands défenseurs des populations autochtones», précise le spécialiste de l’UQAT.

Et du point de vue autochtone? «Absolument rien de tout ça n’est acceptable», dit-il.

Est-ce que renommer l’avenue équivaut à effacer Christophe Colomb de l’histoire ?

Quand l’idée de renommer une rue ou de déboulonner une statue fait surface, ceux qui s’y opposent font généralement valoir qu’il s’agit d’un geste qui vise à effacer l’histoire et à la réécrire de manière moraliste. 

Des arguments auxquels Martin Pâquet n’adhère pas. 

«On ne réécrit pas l’histoire en renommant une rue, ou encore en enlevant une statue. Les ouvrages historiques, tout comme les historiens, vont continuer de parler de Christophe Colomb», soutient-il. 

L'historien rappelle que les rues qui portent le nom de personnalité sont nommées en l’honneur de personnes qui représentent des valeurs célébrées par la société. Or, ces valeurs évoluent. 

«Prenez l’exemple de Claude Jutra. C’est un grand cinéaste. Il a eu des rues en son nom quand il est décédé. Les prix du cinéma québécois ont été nommés en son honneur. Tout allait bien, jusqu’à ce que sorte sa biographie et qu’on apprenne qu’il a été impliqué dans des gestes de pédophilie. On a débaptisé ce qu’on avait nommé en son honneur. Parce que le personnage ne représentait plus les valeurs de la société. C’est un symbole qu’on ne voulait pas perpétuer», rappelle-t-il.

Montréal, Lévis, Québec, Blainville, Candiac: plusieurs villes ont effacé le nom de Claude Jutra de l’espace public. 

Plus récemment, la rue Amherst, à Montréal, est devenue la rue Atateken. Un mot mohawk signifiant «fraternité». Pourquoi? Parce que le général Amherst a offert des couvertures infestées par la variole aux Autochtones. 

Pour Sébastien Brodeur-Girard, les changements du genre ne diluent pas l’histoire. Ils servent au contraire à en améliorer notre compréhension. 

«C’est symbolique. Il s’agit d’ouvrir un espace pour redonner la parole aux peuples autochtones qu’on n’a pas écoutés et dont on n’a pas intégré la vision dans notre récit collectif. Ce n’est pas effacer l’histoire, c’est l’enrichir», insiste-t-il.

Les deux professeurs estiment néanmoins que tels changements doivent être faits démocratiquement. Ils croient que les discussions qui y mènent – ou pas – doivent inclure tous les points de vue, notamment celui des Autochtones. 

À lire aussi

Vous pourriez aimer

En collaboration avec nos partenaires