Possible réouverture de Gentilly-2: l’énergie nucléaire aussi dangereuse qu’on l’imagine? | 24 heures
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Possible réouverture de Gentilly-2: l’énergie nucléaire aussi dangereuse qu’on l’imagine?

Image principale de l'article Le nucléaire aussi dangereux qu’on l’imagine?
Photo d'archives

Difficile de parler du nucléaire sans penser aux catastrophes de Fukushima et de Tchernobyl. Mais le recours à l’énergie nucléaire est-il aussi dangereux qu’on le croit? Le nucléaire pourrait-il faire partie de la transition énergétique du Québec? 

Le Québec vise la carboneutralité d’ici 2050. Le gouvernement estime que pour atteindre cet objectif et répondre à la demande croissante en électricité, la province devra augmenter sa production énergétique d’environ 50%. Un défi de taille, puisque les rivières avec le plus fort potentiel hydroélectrique sont déjà utilisées, soulignent les experts.

Dans ce contexte, Hydro-Québec évalue la possibilité de rouvrir la seule centrale nucléaire de la province, Gentilly-2, comme le révélait la semaine dernière Le Journal

Appelé à commenter, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, a soutenu qu’il serait «irresponsable» de fermer la porte aux discussions sur le nucléaire. Le commentaire a suscité de nombreuses réactions, notamment chez ceux qui estiment que les avantages énergétiques d’une relance de Gentilly-2 ne valent pas les risques qu’elle pourrait représenter pour la santé et l’environnement.

Le professeur au département de physique de l’Université de Montréal et directeur de l’Institut de l’énergie Trottier, Normand Mousseau, nous aide à mieux comprendre les implications du nucléaire.

Le nucléaire peut-il vraiment servir à atteindre des cibles environnementales?

L’avantage environnemental des centrales nucléaires, c’est qu’elles émettent très peu de gaz à effet de serre (GES), rappelle Normand Mousseau. 

Le réacteur CANDU d’une centrale nucléaire comme Gentilly-2 fonctionne avec de l’uranium, de l’eau, une turbine et un aimant. Au cœur du réacteur, l’éclatement d’atomes d’uranium, qu’on appelle fission, produit une chaleur intense qui transforme l’eau en vapeur. La pression créée par le relâchement de cette vapeur active ensuite une turbine, qui fait à son tour tourner un aimant afin de produire de l’électricité. 

Selon les données d’Hydro-Québec, à production égale, le nucléaire est moins polluant que d’autres sources d’énergie comme l’hydroélectricité par réservoir, le solaire et l’éolien. 

Le nucléaire assure également une production constante d’énergie, peu importe les conditions météorologiques, souligne Normand Mousseau. «Ça permet de ne jamais s’inquiéter de manquer de ressources», dit-il. 

De nombreux pays, notamment la France, les États-Unis, la Corée du Sud, le Japon et la Chine, comptent sur l’énergie nucléaire afin de réduire leurs émissions de GES.

À l’heure actuelle, il y a 19 réacteurs nucléaires au Canada, dont la grande majorité en Ontario. Environ 15% de l’électricité du pays provient de l’énergie nucléaire.

Selon l’Association nucléaire mondiale, il y a 436 réacteurs nucléaires actifs dans 50 pays dans le monde et 60 autres sont en construction. 

Quels sont les principaux dangers associés au nucléaire? 

Les accidents liés aux centrales nucléaires sont rares et leurs répercussions sont limitées, affirme Normand Mousseau. 

Depuis l’an 2000, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en a répertorié neuf, dont deux avec des conséquences potentielles pour les populations locales. L’Agence dénombre aussi deux incidents majeurs depuis 1952: Tchernobyl et Fukushima. 

«Pour Fukushima, si l’on compare les conséquences à celles des centrales au charbon par exemple, le coût humain reste très faible. Donc le nucléaire est une option sécuritaire dans la plupart des endroits», soutient l’expert.

Ces événements continuent cependant de marquer l’imaginaire collectif. 

La catastrophe de 1986 à Tchernobyl, en Ukraine, a eu de nombreuses conséquences humaines et environnementales. L’explosion, causée par des erreurs humaines et des bris d’équipements, a libéré une quantité massive de matières radioactives dans l'atmosphère.

Outre les 31 travailleurs et pompiers décédés dans les semaines suivantes, on estime que plusieurs cas de cancers de la thyroïde pourraient y être directement liés. Jusqu'à 4000 décès supplémentaires pourraient être attendus parmi les populations les plus fortement exposées au fil du temps, avançait le Comité scientifique des Nations Unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR), en 2005. 

Le nombre exact de décès directement attribuables à la catastrophe fait toutefois encore l’objet de débats chez les experts.

Du point de vue environnemental, la libération de particules radioactives a contaminé de vastes étendues de terre, les rendant inhabitables pour les humains et la faune. Dans la zone d’exclusion de Tchernobyl, qui couvre des milliers de kilomètres carrés, des éléments radioactifs sont toujours dans l'environnement, causant notamment des mutations génétiques et des problèmes de santé chez les animaux. 

La sécurité s’est cependant beaucoup resserrée dans les centrales nucléaires, rendant moins probables les scénarios du genre, selon de nombreux experts.

Cela n’a toutefois pas permis d’éviter un autre accident grave à Fukushima, en 2011. Un tremblement de terre et le tsunami qui a suivi ont entraîné une chaîne de réactions qui a endommagé les réacteurs de la centrale nucléaire japonaise et provoqué des fuites radioactives. L’accident n’a officiellement fait aucun mort, mais les déchets radioactifs ont contaminé les sols, les cours d’eau et une partie de l’environnement marin. Des préoccupations persistent quant aux effets à long terme sur la chaîne alimentaire et la santé humaine.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, les menaces visant la centrale nucléaire de Zaporijia nous rappellent aussi que ces installations peuvent devenir une source d’inquiétude dans un contexte instable. 

La centrale nucléaire de Zaporijia

Photo AFP 

La centrale nucléaire de Zaporijia

Quels sont les principaux défis liés au nucléaire?

Au-delà des enjeux d’acceptabilité sociale, les principaux obstacles au nucléaire, ce sont «les coûts et l’échelle de temps», souligne Normand Mousseau.

En 2008, Hydro-Québec estimait à de 1,9 milliard $ les coûts de réfaction de Gentilly-2. Le professeur Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, a toutefois indiqué à La Presse que les coûts de remise en service seront probablement bien supérieurs à ces estimations. 

Une remise en service de Gentilly-2 poserait plusieurs autres défis, notamment celui de l’entretien et de la gestion des déchets radioactifs, ajoute Normand Mousseau.

L’expert souligne finalement qu’une centrale nucléaire ne peut pas s’adapter à la demande d’énergie, contrairement au réseau hydroélectrique, ce qui constitue un autre désavantage. 

Des technologies prometteuses, mais pas de miracle

Des technologies actuellement en développement promettent de rendre l’énergie nucléaire plus sécuritaire et moins polluante. Les petits réacteurs modulaires (PRM), une nouvelle catégorie de réacteurs plus petits en taille et en puissance, offriront vraisemblablement des avantages intéressants, explique le directeur de l’institut de l’Énergie Trottier. 

«Avec les PRM, ce qu’on vise, c’est d’être capable de reproduire le même réacteur plusieurs fois, à grande échelle. On se dit qu’on sera capable de réduire les coûts, parce qu’on devrait être capable d’en construire beaucoup. En gros, c’est ça l’idée. On pourrait mettre ça sur une chaîne de montage», explique-t-il. 

Bien que prometteurs, ces PRM devraient coûter plus chers que les ressources solaires, éoliennes ou hydroélectriques. La forte demande mondiale pour ces produits devrait aussi en rendre l’accès difficile pour le Québec, si la province voulait un jour augmenter son recours au nucléaire. 

De plus, pour sérieusement évaluer cette option, Normand mousseau souligne qu'il faudrait pouvoir la comparer à d'autres projets énergétique d'envergure. Or, les données nécessaires manquent, souligne le professeur. 

«On pourra analyser et débattre une fois que nous aurons des chiffres fiables, mais pour le moment, ça reste très vague», lance-t-il. 

 Pour toutes ces raisons, le retour du nucléaire au Québec est ainsi«très peu probable», conclut M. Mousseau.

 

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