Salaire, horaire, TSO: on démêle le vrai du faux du métier d’infirmière d’agence

Les infirmières provenant des agences de placement gagnent-elles réellement plus que celles employées par le gouvernement? Sont-elles aussi soumises au temps supplémentaire obligatoire (TSO)? On a posé ces questions – et même plus – à deux infirmières d’agence pour démystifier leur quotidien.
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C’est quoi, au juste, une agence de placement?
Les agences de placement sont des entreprises privées qui fournissent du personnel au réseau de la santé. On parle d’infirmières, mais pas uniquement: on y retrouve aussi des infirmières auxiliaires, des travailleurs sociaux, des inhalothérapeutes et des préposés aux bénéficiaires, notamment.
Quel est le salaire d’une infirmière d’agence?
Comme ce sont des entreprises privées, les agences peuvent offrir le salaire qu’elles veulent à leurs employés. Celui-ci n’est pas régi par une convention collective, comme c’est le cas pour les infirmières syndiquées.
Ça signifie donc que le salaire «peut varier d’une agence à l’autre et, surtout, d’une région à l’autre», explique Marilize Caron, coordonnatrice clinique et responsable du recrutement à l’Agence SPI.
Ainsi, une infirmière qui travaille à Montréal ou dans une région considérée comme étant «urbaine» peut gagner un salaire moindre que si elle travaille en région éloignée, comme sur la Côte-Nord, parce que différentes primes peuvent lui être offertes, illustre celle qui est également infirmière.
Dans ses recherches, 24 heures a effectivement pu constater une grande variété de salaires horaires à travers les agences. À Montréal, on a vu un affichage pour un poste dans une agence offrant entre 70 et 75$ l’heure, alors qu’un autre offrait plutôt 38 à 52$ l’heure.
En région, c’est plus élevé. Une agence promettait jusqu’à 85$ l’heure, alors qu’une autre entre 42 et 70$ l’heure.
Pour sa part, une infirmière du réseau public gagne entre 25,81$ et41,39$ l’heure.
Comme les infirmières d’agence ne sont pas membres d’un syndicat, ça veut aussi dire qu’elles n’ont pas nécessairement droit aux mêmes avantages sociaux que celles qui œuvrent dans le réseau. Encore une fois, c’est l’agence qui choisit si elle fournit – ou pas – des assurances collectives, plus de congés que ce qui est prescrit par les normes du travail ou un régime d’épargne-retraite collectif à ses employés.
«C’est vrai qu’une infirmière d’agence termine la semaine avec plus d’argent dans les poches, mais à la fin de sa carrière, c’est l’infirmière du réseau qui en a beaucoup plus», soutient-elle. Pour elle, le fonds de pension dont bénéficient les infirmières du réseau public compense pour le salaire horaire plus élevé de celles d’agence.
Comment fonctionnent les horaires des infirmières d’agence?
Il y a deux types d’infirmières d’agence, indique Marilize Caron. D’un côté, on a celles qui font du remplacement à long terme d’une durée indéterminée. De l’autre, celles qui font des remplacements plus ponctuels, qui ne connaissent donc pas longtemps d’avance où elles travailleront.
Dans les deux cas, l’une des motivations pour les infirmières qui choisissent de travailler pour une agence est principalement la flexibilité des horaires, car elles peuvent se mettre indisponibles à certains moments.
«Quand une infirmière ne veut ou ne peut pas travailler, elle ne travaille pas», souligne Mathieu Lamarre, directeur des soins et des services à l’Agence SPI. «Mais ça veut aussi dire que si elle ne travaille pas, elle n’est pas payée.»
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Cette «liberté», que les employés du réseau n’ont pas nécessairement, peut donner l’impression que la main-d’œuvre indépendante choisit les quarts de travail les plus intéressants, laissant les moins convoités aux infirmières du réseau. Un mythe à défaire, selon l’infirmier, puisque les infirmières d’agence ne font que combler les quarts que les employés du réseau ne peuvent pas remplir.
Les infirmières d’agence doivent elles aussi être disponibles de soir, de nuit et de fin de semaine, sinon, elles ne trouveront pas de quart de travail à combler.
«Il y a effectivement eu une période où il y avait moins de personnel d’agence, ce qui donnait l’impression qu’il choisissait l’horaire qu’il voulait et se permettait de dire “on ne fait pas de fin de semaine ou de temps supplémentaire”, des choses que les gens du réseau étaient obligés de faire et ça les choquait. Maintenant, ce n’est plus ça du tout», précise Marilize Caron.
«N’empêche qu’il y aura toujours des remplacements de jour, du lundi au vendredi à faire que les employés du réseau n’arrivent pas à combler, donc oui ça va arriver qu’une infirmière d’agence le fait. Mais maintenant, les disponibilités doivent être les mêmes que les infirmières du réseau», renchérit Mathieu Lamarre.
Et contrairement à la croyance populaire, les infirmières d’agence sont aussi incluses dans la rotation pour faire du temps supplémentaire obligatoire (TSO), ajoute Marilize Caron.
Quelles sont les tâches d’une infirmière d’agence?
Il n’y a aucune différence entre les tâches d’une infirmière d’agence et celles d’une infirmière employée du réseau de la santé. Les deux doivent prodiguer des soins à la population, y compris l’évaluation des soins à donner à un patient, administrer les médicaments et traitements prescrits, assister les médecins lors d’interventions chirurgicales et de procédures médicales.
Les agences seront-elles abolies par le projet de loi 10?
Les agences comme telles non, mais d’ici 2026, les organismes de la santé ne pourront plus y recourir systématiquement.
Adopté en avril dernier dans la foulée de la réforme du système de santé du ministre Christian Dubé, le projet de loi 10 prévoit toutefois certaines exceptions qui seront accordées par le gouvernement et déterminées par un règlement.
Ainsi, dès le 20 octobre 2024, les organismes de la santé de Montréal, de Laval, de Montérégie, de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches ne pourront plus faire appel aux agences.
Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, en Mauricie, dans le Centre-du-Québec, à Lanaudière et dans les Laurentides, c’est à compter du 19 octobre 2025.
Enfin, dans le Bas-Saint-Laurent, en Outaouais, en Abitibi-Témiscamingue, dans la Côte-Nord, dans le Nord-du-Québec, en Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine et au Nunavik, on parle du 18 octobre 2026.
L’objectif du gouvernement est de «rapatrier une grande partie du personnel de soins mobilisé par les agences privées vers le réseau de la santé et des services sociaux», a écrit le cabinet du ministre de la Santé dans un communiqué émis lors de l’adoption du projet de loi.
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Or, un sondage réalisé par l’Association des entreprises privées de personnel soignant du Québec (EPPSQ) révèle que près de 70% des 2000 infirmières d’agence interrogées réorienteraient «[leur] carrière dans un autre domaine au lieu de rester dans le réseau de la santé» si les agences n’existaient pas. Il faut savoir que les infirmières d’agences sont d’abord passées obligatoirement par le réseau public de la santé.
Actuellement, la main-d’œuvre indépendante représente 11 000 postes à temps complet dans tout le réseau, soit environ 4% des heures travaillées.
Même si les infirmières d’agence ne représentent qu’une petite partie de toutes les heures travaillées, Marilize Caron craint que des «bris de service majeurs» surviennent une fois que les organismes de santé ne pourront plus faire appel aux agences de placement.
«En ce moment, chaque infirmière d’agence comble un besoin qui n’est pas comblé par les gens du réseau. Ça veut dire qu’en enlevant tout ce monde-là, qui ne retournera probablement pas dans le réseau, ça va créer des bris de service majeurs, voire des fermetures de départements entiers. Des gens en région, mais aussi à Montréal, vont être privés de soins», déplore l’infirmière.
Une crainte que partagent les gestionnaires du réseau, qui jugent la transition prévue par Québec pour l’interdiction «trop abrupte», rapporte le quotidien La Presse. L’Association des gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux (AGESSS) préférerait limiter progressivement le nombre d’heures travaillées par de la main-d’œuvre indépendante plutôt que des interdictions en bloc.