Herbes à poux, carpe asiatique: ces espèces envahissantes qui menacent le Québec (et coûtent cher) | 24 heures
/environment

Herbes à poux, carpe asiatique: ces espèces envahissantes qui menacent le Québec (et coûtent cher)

Image principale de l'article Espèces envahissantes: pourquoi c'est inquiétant

Les milliers d'espèces exotiques envahissantes comme l’herbe à poux, la carpe asiatique et l’agrile du frêne causent chaque année des pertes estimées à plus de 423 milliards $ à travers le monde, prévient un nouveau rapport de l’ONU. Et le Québec n’est pas épargné par ces envahisseurs qui font mal à l’économie.

Au cours des derniers siècles, l’humain a introduit — volontairement ou non — plus de 37 000 espèces en dehors de leur habitat naturel. 

Sur le lot, près de 3500 sont des espèces exotiques envahissantes, c'est-à-dire qu’elles s’établissent et se répandent dans leurs nouveaux écosystèmes avec des conséquences négatives, voire irréversibles. 

C’est notamment le cas de l’herbe à poux, cette nuisance nord-américaine très répandue au Québec qui a été introduite en Europe dans les années 1860 puis en Chine vers 1930, notamment par les fourrages [plantes servant à la nourriture du bétail] et la construction des routes. 

AFP 

«Même au Québec, l’herbe à poux s’est propagée dans des régions où il n’y en avait pas avant. Aujourd’hui, c’est la première cause de rhinite saisonnière au monde — aussi appelée rhume des foins», signale le biologiste et professeur à l’École supérieure d'aménagement du territoire et de développement régional de l’Université Laval, Claude Lavoie. 

Les espèces invasives sont très adaptables à leur nouvel environnement, et les changements climatiques ne font qu'exacerber le problème. 

Si bien que leur coût total est évalué à 423 milliards de $, selon un rapport de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) — sous l'égide de l’Organisation des Nations unies (ONU) — paru lundi. 

Un montant «probablement grandement sous-estimé» qui quadruple chaque décennie depuis 1970, préviennent les auteurs, au moment où le commerce mondial explosait. 

«Elles se sont propagées par le transport des marchandises, le développement de l’agriculture, la navigation, la pêche et la construction des routes», résume le professeur Lavoie. 

Des ennemis pour l’économie et la santé

Les industries agricole, forestière et aquacole sont les premières à goûter à leur propagation, souligne le biologiste. 

On n’a qu’à penser à la carpe asiatique, un spécimen présent au Québec depuis quelques années, qui menace les écosystèmes des cours d’eau où il s’installe. 

Photo Fotolia 

Et ce poisson herbivore à l’appétit vorace se reproduit très rapidement. Il peut avaler jusqu’à 40% de son poids chaque jour, mettant ainsi en péril les herbiers aquatiques desquels dépendent plusieurs espèces indigènes du fleuve Saint-Laurent. 

Dans les cultures et les pâturages, la présence de plantes envahissantes entraîne également des pertes de productivité et de qualité. Elle coûte à elle seule près de 2,2 milliards $ par année au pays, selon un rapport d’Environnement et Changement climatique Canada publié en mars dernier. 

«85% de nos mauvaises herbes sont des espèces exotiques envahissantes, et 70% des pesticides utilisés dans nos cultures sont en fait des herbicides», explique Claude Lavoie. 

En contrôlant davantage les espèces envahissantes, on pourrait ainsi réduire d’un coup l’usage d’une bonne quantité de pesticides qui contiennent souvent du glyphosate, un agent classé depuis 2015 comme «cancérigène probable» par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et dont les frais ne cessent de croître. 

«Les gains environnementaux et pour la santé seraient majeurs, en plus de sauver des coûts immenses. La société ne pourrait que mieux s’en porter», assure-t-il. 

Extinctions d’animaux et de végétaux

Les espèces exotiques envahissantes ont contribué de près ou de loin à 60% des extinctions d’animaux et de végétaux dans le monde, concluent les auteurs du rapport. 

Et dans 16% des cas, elles en sont même l’unique cause. 

«Au Québec, il n’y a pas d’espèces qui se sont éteintes à cause des espèces exotiques envahissantes. Ça arrive surtout dans un contexte insulaire», précise M. Lavoie. 

On peut penser au Dodo disparu de l'île Maurice depuis la fin du 17e siècle. L’oiseau s’est adapté à une vie sans prédateur dans un environnement clos en perdant peu à peu sa capacité de voler, jusqu’à ce que les premiers colons débarquent avec des animaux comme le chat, ce redoutable chasseur. 

«Le Dodo n’a pas résisté très longtemps», lance l’expert. 

Même si le Québec n’a pas — encore — connu d’extinction due aux espèces invasives, il précise qu’elles peuvent néanmoins causer des dommages irréversibles aux écosystèmes, en plus de coûter une fortune. 

«L’agrile du frêne [un insecte coléoptère d’Asie sans prédateur] ne fera pas disparaître tous les frênes de la province, mais ceux en milieux urbains ont fortement chuté en densité», illustre-t-il. 

L’agrile du frêne

Photo Adobe Stock 

L’agrile du frêne

Les villes dépensent ainsi des dizaines de millions de $ pour tenter d’éliminer l’ennemi, qui a contribué à l’abatage de quelque 30 000 arbres matures entre 2012 et 2020 seulement à Montréal. 

La réponse politique est «insuffisante»

Fruit de quatre ans de travail, le nouveau rapport de IPBES rédigé par 86 chercheurs d’une cinquantaine de pays est l'étude la plus exhaustive jamais réalisée sur l’impact des espèces exotiques envahissantes sur l'appauvrissement de la biodiversité. 

Pour y arriver, ils se sont appuyés sur 13 000 études scientifiques et sur les contributions des populations autochtones, notamment. 

Il est publié près de neuf mois après l’accord de Kunming-Montréal adopté dans le cadre de la COP15 dans la métropole, où la communauté internationale s'est fixée comme objectif de réduire de 50% le taux d'introduction d'espèces exotiques envahissantes d'ici 2030. 

• À lire aussi: COP15: voici quatre choses à retenir de l’accord de Kunming-Montréal

Mais la réponse politique est jusqu’ici «insuffisante», jugent les auteurs du rapport pourtant entériné à l’unanimité lundi par les 143 États membres de l’IPBES, à Bonn, en Allemagne. 

Il est encore possible de limiter la menace en freinant l’exploitation des terres agricoles et des cours d’eau, citent-ils. Si rien n’est fait toutefois, ce phénomène va continuer à s’amplifier. 

Chaque année, 200 nouvelles espèces exotiques envahissantes sont enregistrées sur la planète. 

À lire aussi

Vous pourriez aimer

En collaboration avec nos partenaires