Pourquoi les mêmes produits se vendent trois fois plus cher en épicerie qu'au Dollarama?
Il vous est sûrement arrivé par le passé de faire un tour au Dollarama et de tomber sur un produit alimentaire en vente à bas prix, alors que vous l’avez payé ailleurs au double, voire au triple du prix, même s'il s'agissait exactement de la même marque. Qu’est-ce qui explique cette disparité de prix? Un expert répond à nos questions.
• À lire aussi: À quel point le IGA est-il plus cher que le Maxi? On a fait le calcul
Sur Facebook, une dénommée Carole Doiron a récemment publié une série d’images où elle compare les prix de différents produits (soupe, mayonnaise, craquelins, vinaigrette, etc.) au Dollarama et chez «une grande chaîne d’épicerie» que l’on devine être IGA.
Sa publication, qui a été partagée des milliers de fois, a vivement fait réagir sur le réseau social. Voici quelques exemples de disparités de prix qu'elle relève:
D’entrée de jeu, Sylvain Charlebois, directeur scientifique du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université de Dalhousie, avoue ne pas être surpris de voir une différence de prix d’une épicerie à l’autre. Voici quelques éléments qui se dégagent de son analyse.
Les grandes chaînes favorisent leur marque maison
Les produits des marques comme Kraft, Ruffles ou Heinz ont souvent des équivalents des «marques maisons» des grandes bannières d'épicerie comme IGA, Provigo ou Metro. Celles-ci devront donc s'assurer de généralement vendre leurs marques maisons moins chères que les autres marques, en vendant donc ces dernières à un prix plus élevé. «Une compagnie comme Loblaw ou IGA favorisera davantage sa marque maison, alors que Dollarama n’a pas ce problème-là», souligne M. Charlebois.
Les marques maison des différentes bannières privées:
- Loblaw/Provigo: Le Choix du Président, Sans nom
- Metro: Mieux-Être, Sélection, Sélection éco, Irrésistibles
- IGA: Compliments, Panache
- Walmart: Great Value, Notre Excellence
- Costco: Kirkland
Dollarama peut acheter uniquement ce qui est à bas prix
Si certains croient que Dollarama, qui appartient à la famille Rossy, vend à perte, ce n’est «pas du tout» le cas, rétorque Sylvain Charlebois.
C'est plutôt qu'elle ne vend que ce qu'elle arrive à se procurer à bas prix auprès de ses fournisseurs, ce qui contraste avec les grandes chaînes d'épicerie, qui doivent avoir en inventaire toutes les sortes de produits en tout temps.
«Dollarama a développé une portion alimentaire pour créer des habitudes chez sa clientèle, explique Sylvain Charlebois. Elle va acheter des produits qu’elle peut revendre à bon prix, selon leur politique d’achat, au même titre que Costco, par exemple. Si ça ne cadre pas avec leur politique d’achat, elle n’achète tout simplement pas le produit.»
Chaque bannière a une relation différente avec les fournisseurs, qui eux-mêmes leur feront des prix différents en fonction de divers paramètres.
• À lire aussi: Moins cher d’acheter des plats prêts-à-manger du Costco que de cuisiner? On a fait le calcul
Les grandes chaînes profitent de la tactique «un seul arrêt»
Si une personne souhaite faire une épicerie complète, ou même juste recevoir à la maison et servir des hot-dogs ou des hamburgers à ses invités, elle ne peut pas tout acheter chez Dollarama, contrairement aux grandes épiceries. Ces dernières bénéficient donc du fait que plusieurs personnes préfèrent faire un seul arrêt quand elles vont acheter de la nourriture, plutôt que plusieurs places pour plusieurs produits différents, et en profitent pour charger plus cher pour certains produits.
«[Au Dollarama], vous êtes pris pour aller chercher votre viande ailleurs, explique-t-il. À l’épicerie, on peut tout acheter sur place, mais on va payer plus cher.»
• À lire aussi: Faire son épicerie chez Dollarama, est-ce que ça vaut vraiment la peine?
On mise sur l’expérience client
Lorsque vous mettez le pied dans un Dollarama, peut-être avez-vous remarqué que l’ambiance est tout autre que dans une épicerie de grande surface.
Le local est souvent moins agréable, il y a moins de personnel, la présentation est plus ordinaire... bref, le commerce en tant que tel coûte moins cher à gérer.
Dans le prix des aliments plus élevés, une partie est investie dans l’expérience client, concède le professeur de l’Université de Dalhousie.
Et ça s'observe de façon moins extrême dans la différence de prix qu'il y a entre les différentes grandes surfaces. Plusieurs bannières privées sont d'ailleurs propriétaires à la fois d'une épicerie plus haut de gamme et de commerces à rabais. C’est notamment le cas de Loblaws, à qui appartient les Provigo mais aussi les Maxi et Maxi & Cie. Ou encore de Metro, qui détient les épiceries du même nom, mais aussi les Super C. Quant à l'entreprise propriétaire d'IGA (Sobeys), elle est la seule chaîne à ne pas présenter de magasin du genre au Québec, question de ne pas miner la compétition, selon M. Charlebois.
D’ailleurs, pour s’accommoder aux besoins actuels et offrir une épicerie moins chère à la population, Loblaws a annoncé en début d’année qu’elle comptait convertir plus d’une vingtaine de ses Provigo du Québec en Maxi.
La loi de l'offre et de la demande domine
Vous l'avez probablement remarqué en lisant cet article, mais les raisons expliquant l'écart des prix ne relèvent pas du tout de la météo ou de problèmes dans la production des aliments. Sylvain Charlebois note qu’une bonne partie de la population croit depuis quelques mois que c’est le coût de la production d'un produit qui en fixe le prix, alors que ce dernier à peu à voir avec le prix au détail.
La loi de l'offre et la demande domine. «Oui, la production est un facteur, mais ce n’est pas le seul. La demande joue pour beaucoup. Je crois même que la demande a plus d’impact que l’offre, dit-il. À 9,49$ la bouteille de ketchup bio du IGA, on tient pour acquis que la personne en a vraiment besoin. Alors que chez Dollarama, on va se déplacer pour aller chercher un bas prix.»
D'ailleurs, si la bouteille de ketchup bio est encore affichée à 9,49$ pendant qu'elle se vend 3,25$ ailleurs, c'est qu'elle trouve preneur.
«Je ne veux pas traiter d’imbéciles les gens qui achètent leur ketchup 9,49$ chez IGA. Il y a une raison pour laquelle certaines personnes opteront pour ce produit vendu sous cette bannière», dit Sylvain Charlebois, citant notamment le manque de temps, de planification, de ressources ou de recherches.
«Ç’a toujours été comme ça, mais avec les prix plus élevés, on s’en rend plus compte», affirme-t-il.