Vous ne rêvez pas: vous voyez plus de policiers à cheval à Montréal

Avez-vous remarqué une présence accrue des policiers à cheval dans les rues de Montréal cet été? C’est normal: la cavalerie du SPVM patrouille désormais dans toute la ville, des quartiers les plus chauds au boulevard Saint-Laurent, à la sortie des bars. L’idée est de créer des liens avec toutes les communautés, surtout celles marginalisées.
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«C’est indéniable que l’utilisation des chevaux rapproche les policiers et les communautés», lance d’emblée le chef de la Section des patrouilles spécialisées au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Jonathan Chase, rencontré aux écuries de la cavalerie sur le mont Royal.
«Quand les cavaliers vont patrouiller dans le square Cabot au centre-ville, où il y a une forte présence de personnes autochtones en situation d’itinérance, il y a un rapprochement qui se fait plus naturellement. Ceux qui ne sont pas à l’aise avec les policiers les oublient lorsqu’ils entrent en contact avec l’animal. Ils viennent flatter les chevaux et poser des questions aux agents», illustre le commandant.
«C’est la nature même de la zoothérapie», résume quant à lui le président de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec (OMVQ), Gaston Rioux.
Patrouiller les quartiers chauds
Jusqu’à tout récemment, la cavalerie, fondée en 1885, jouait un rôle limité, soit de surveiller les endroits inaccessibles aux véhicules et d’assister les postes de quartier dans les recherches de personnes disparues, plus visibles du dos d’un cheval. Ils participaient aussi à des événements comme des défilés et des manifestations.
Ce sont les cavaliers eux-mêmes qui ont manifesté le souhait d’étendre leurs responsabilités, précise Jonathan Chase.
Les chevaux du SPVM trottent maintenant tous les quartiers de Montréal, été comme hiver. Ils sont déplacés en remorque ou partent des écuries sur le Mont-Royal – avec leur cavalier sur le dos –, selon la distance.
Et le commandant est sans équivoque: ce changement est un succès.
Les cavaliers patrouillent les arrondissements et les sous-quartiers où il y a le plus de violence armée, à l’est et au nord de la métropole. Du haut de leur monture, ils réussissent bien souvent à collecter des renseignements utiles.
«Lorsqu’il y a une fusillade, par exemple, on nous demande d’aller sur les lieux, parce que les gens viennent nous parler et nous donnent plus facilement de l’information», explique Chad Williams en brossant son cheval noir Canadien nommé Merlin, une race adoptée en 1995 par le SPVM.
Plus présente donc, la cavalerie n’est pas pour autant plus populeuse. L’équipe compte en effet toujours 12 policiers, 12 chevaux – des mâles exclusivement –, un superviseur et trois palefrenières chargées du soin des animaux.
Et pourquoi juste des chevaux mâles?
«Il y a quelques années, une jument n’a jamais voulu se faire monter par une cavalière alors qu’elle devait vraiment y aller. On achète juste des mâles depuis», raconte Sylvie, la palefrenière.
Des chevaux bien dressés
À l’âge vénérable de 21 ans, Merlin prendra bientôt sa retraite, même s’il déborde de santé. L’espérance de vie d’un cheval domestique se situe entre 20 et 30 ans.
Les chevaux à la retraite des forces de l’ordre sont prisés des propriétaires d’écurie qui offrent des randonnées au public. Si les chevaux sont généralement de nature peureuse, ceux de la police ont appris à faire face à ce qui les effraie plutôt qu’à le fuir.
Mais bien qu’ils soient des spécimens de choix pour les centres équestres, le SPVM refuse de leur vendre leurs bêtes.
«À 20 ans, on veut que nos chevaux broutent de l’herbe et galopent dans les champs. Pas qu’ils travaillent 10 heures par jour à porter des gens sur leur dos», laisse tomber l’agent Williams, qui possède déjà une écurie à la maison.
Comme plusieurs de ses collègues auparavant, il n’écarte pas l’idée de racheter Merlin, son partenaire de toujours, à la fin de son service.
L’importance du bien-être animal
«Durant certaines manifestations, des gens scandaient que l’utilisation des chevaux par le SPVM était de la maltraitance, mais on n’a jamais reçu de plaintes officielles à ce sujet», souligne le commandant.
Il assure que les chevaux du SPVM sont traités «aux petits oignons».
«Ils ont chacun leur box, on les fait patrouiller trois ou quatre heures en moyenne à un pas assez lent pour ne pas les épuiser et ils ont droit à de congés. Dès que la température atteint les 28 degrés Celsius, ils sont au repos. On les nourrit avec du foin de grande qualité», énumère-t-il.
L’idée est d’établir une connexion profonde entre le policier et l’animal pour assurer son bien-être. Plus le cavalier est calme et rassurant, plus le cheval le sera aussi. Peu importe la situation.
C’est donc le cavalier qui est chargé de nettoyer son cheval tous les jours. Il assure également son entraînement, s’il en a les compétences. Tous les patrouilleurs détiennent un niveau 3 en équitation classique, mais tous ne savent pas comment dresser un animal.
Le Dr Gaston Rioux de l’OMVQ rappelle qu’il n’y a rien de plus nocif pour un cheval que de rester dans son box sans stimulation. «C’est un animal qui aime apprendre, travailler, faire de l’exercice et avoir un bon contact avec son cavalier», précise-t-il.
«Les gens peuvent avoir l’image des calèches où les animaux étaient parfois surmenés, poursuit le spécialiste. Ici, on est loin des conditions dans lesquelles travaillaient les chevaux des caléchiers, qui les gardaient pour un bénéfice économique.»
Pour le médecin vétérinaire, il va de soi qu’une organisation comme le SPVM respecte la loi et les règlements sur le bien-être animal, «comme il s’agit de la police».
«J’ai déjà visité les écuries de la GRC [Gendarmerie royale du Canada] à Ottawa et je dirais qu’ils sont gardés dans un milieu plus qu’adéquat. J’ose croire que les corps policiers du Québec font la même chose.»
Changer le visage de la police
Pour Jonathan Chase, la nouvelle mission plus diversifiée de la cavalerie s’inscrit «parfaitement» dans l’approche «humaine et inclusive» du nouveau directeur du SPVM, Fady Dagher, entré en poste le 19 janvier dernier.
Né en Côte d'Ivoire de parents libanais, il est le premier chef de police de Montréal à être issu d'une communauté culturelle.
Parmi ses priorités avouées: réparer les liens avec certains groupes sociaux malmenés par le profilage racial — dont lui-même a été victime —, puis freiner la violence armée dans la métropole en misant sur la prévention.
«Construire des relations avec les communautés, c’est la mission première des cavaliers du SPVM, confie M. Chase. Ils doivent prendre le temps de répondre aux questions des citoyens comme ils n’ont pas d’opérations à faire, à moins d’une urgence.»
Des chevaux en sécurité
Si la présence des chevaux permet de rapprocher citoyens et forces policières, elle s’avère aussi efficace pour calmer l’agitation à la sortie des bars, sur le boulevard Saint-Laurent, affirme le commandant Chase.
Depuis le début de l’été, quatre cavaliers patrouillent le secteur les vendredis et samedis de 23h à 4h du matin. Et le SPVM constate une baisse des gestes violents, incivils et des comportements indésirables.
«À la fermeture des bars sur Saint-Laurent, les gens sont agités, tolèrent mal la présence policière et des bagarres arrivent à l’occasion. Avec les chevaux, on diminue le niveau d’agressivité. Les gens quittent la rue de façon plus fluide et il y a moins de confrontation avec les policiers», assure le commandant.
Mais, est-ce vraiment sécuritaire de faire patrouiller un animal au beau milieu d’un boulevard où circule un mélange abstrait de voitures, cyclistes et fêtards alcoolisés?
Jonathan Chase garantit que oui.
D’abord, parce que le cheval bénéficie d’un champ de vision particulièrement étendu de près de 340° qui lui permet de distinguer rapidement tout ce qui est en mouvement. À titre comparatif, celui de l’humain avoisine les 180°.
Aucun cheval n’a sérieusement été blessé depuis son arrivée à la tête de la Section des patrouilles spécialisées du SPVM en 2020. C’est notamment parce que la cavalerie participe «au maintien de l’ordre plus qu’à son rétablissement», souligne M. Chase.
«On ne travaille pas en dispersion de foules, explique-t-il. Les chevaux ne vont pas confronter les manifestants. On ne veut pas les exposer à des projectiles non plus, même s’ils portent des visières et des protections aux jambes lors des manifestations.»
La police de Toronto utilise une stratégie différente. En février 2022, lors du démantèlement du Convoi de la liberté à Ottawa, des chevaux ont été utilisés pour charger les foules. Une femme avait alors été légèrement blessée en tombant au sol.