Des étudiantes en éducation de l’UdeM dénoncent le racisme qu’elles subissent | 24 heures
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Des étudiantes en éducation de l’UdeM dénoncent le racisme qu’elles subissent

Une étudiante à qui «24 heures» a parlé.
Photo Étienne Brière

Une étudiante à qui «24 heures» a parlé.

Alors que le Québec est confronté à une pénurie d’enseignants, plusieurs étudiantes racisées de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal (UdeM) affirment être victimes de racisme et de discrimination, notamment lors de leurs stages. Accusée de normaliser certaines situations, l'institution rejette ces accusations et assure être à l’écoute de ses étudiantes. 

«Pour préserver ma dignité et pour ne pas détériorer ma santé mentale, j'étais obligée d'abandonner mon stage.» 

«Ces trois années de formation ont été un véritable enfer pour moi.» 

«Mon enseignante associée [l’enseignante que les stagiaires suivent en classe, NDLR] passait son temps à me critiquer et à me dénigrer en utilisant des termes comme “vous” ou “dans vos pays” pour faire des généralisations.» 

Ces témoignages sont tirés des réponses à un sondage anonyme envoyé au printemps dernier aux quelque 1800 étudiants de la Faculté des sciences de l’éducation de l’UdeM, à Montréal. Diffusé par le biais de l’Association générale des étudiantes et étudiants en éducation (AGÉÉÉ), ce sondage a été mis sur pied par une élève de troisième année, excédée par le racisme qu'elle aurait subi tout au long de sa formation.

Parmi les 57 répondantes – ce sont principalement des femmes qui étudient en enseignement –, une vingtaine soutiennent avoir vécu des histoires de même nature. 24 heures a pu consulter les résultats de ce coup de sonde. 

Pas d’accent québécois  

«Ton accent, il n'est pas comme l'accent québécois», «Est-ce que tes cheveux sont professionnels?»: c’est le genre de commentaires servis à Christina* lors de son premier stage, en 2021. 

Alors que sa coiffure semble poser problème à l’enseignante chargée d’évaluer son stage, cette dernière, avec qui l'étudiante entretient des rapports difficiles, lui reproche aussi sa manière de s’exprimer, qu’elle juge agressive.

«J'ai tellement figé ce jour-là. Je me disais “Oh, mon Dieu, c'est le pire préjugé envers une femme noire”. Cette personne-là n'a jamais eu une personne racisée comme stagiaire, c’est sûr», raconte aujourd'hui l’étudiante.  

Lorsqu’elle rapporte la situation à la superviseure de la Faculté, cette dernière prend la défense de l’enseignante, selon elle. Christina raconte avoir explosé en larmes ce jour-là et décidé de quitter son stage.  

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Après avoir porté l’affaire devant l’ombudsman de l’UdeM, elle refait finalement un stage, qui se déroule bien. Mais au printemps dernier, à la fin de son stage de troisième année, l’histoire se répète. Cette fois, la superviseure de la Faculté la fait échouer, «sans même justifier sa décision», soutient Christina.  

Dix jours plus tard, elle obtient enfin le motif de son échec: la gestion de classe. En d’autres termes, l'étudiante ne serait pas apte à gérer une classe. Surprise par cette réponse, Christina, qui se considère comme une «excellente» élève, cherche à comprendre.  

«J'ai contacté des enseignants qui étudient le racisme en éducation, explique-t-elle. J'ai notamment confié à une professeure adjointe de la faculté qu'on m'avait fait échouer pour la gestion de classe. Elle m’a répondu "oui, c'est classique. C'est toujours pour cette raison qu'on fait échouer les étudiants racisés".» 

Écœurée par la situation, Christina a choisi de mettre sur pause sa formation d’enseignante, alors qu’il manque des milliers de profs dans les écoles de la province. Déjà titulaire d’un baccalauréat en arts et sciences, elle pourrait choisir de se lancer sur le marché du travail. 

L'étudiante prépare par ailleurs une plainte à la Commission des droits de la personne, «par principe», affirme-t-elle. 

L'Université de Montréal

Photo Étienne Brière 

L'Université de Montréal

Un racisme «systémique»  

24 heures a pu s’entretenir avec une chargée de cours à qui Christina avait déjà parlé de son histoire.

Au cours des derniers mois, l'enseignante a récolté plusieurs témoignages semblables. Par respect pour les étudiantes qui se sont confiées à elle, elle préfère garder l’anonymat.  

Mais selon elle, il n’y a aucun doute: il existe bel et bien du racisme «systémique» au sein de la Faculté des sciences de l’éducation de l’UdeM. 

«Ce qui m'a bouleversée, c'est que c'était pas une, c'était pas deux, c'était pas trois... plus j'avais des confidences, plus ça s’ajoutait. Et puis là, la personne qui se confie, elle me confie que son amie aussi (est victime de racisme, NDLR)», raconte la chargée de cours en entrevue à 24 heures

«Au premier témoignage, j'étais préoccupée, mais là, c'est devenu très inquiétant. C'est vraiment inacceptable. Si ça devient une expérience quasi unanime, là, on a un gros problème. C'est vraiment quelque chose qui est systémique pour moi, ça va au-delà de l'expérience individuelle», poursuit-elle.  

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Si les étudiantes s’expriment à travers un sondage anonyme, et non directement auprès de la Faculté, c’est surtout parce qu’elles ont peur de parler, explique l'enseignante.

«Elles craignent de ne pas obtenir leur diplôme. Si elles parlent, si elles dénoncent les situations vécues, elles craignent de ne pas obtenir la citoyenneté canadienne, parce que, pour certaines, elles sont dans des situations de démarches pour obtenir leur citoyenneté. Ça va très loin, leur sentiment de vulnérabilité», explique-t-elle.

24 heures a parlé avec un autre chargé de cours qui a corroboré ces observations.

L’immobilisme de l’UdeM pointé du doigt 

Dans le sondage, des étudiantes en enseignement se plaignent du manque d'écoute et de réactivité dont l’Université de Montréal aurait fait preuve.  

«L'université soutient le racisme en enseignement, c'est intolérable», «Il faudrait que l'université écoute enfin les étudiants racisés», «J'ai été critiquée pour avoir dit que cela frisait le racisme»: ce sont quelques-uns des reproches formulés par les étudiantes.  

En entrevue à 24 heures, la responsable des relations avec les médias à l’Université de Montréal, Geneviève O’Meara, refuse d'accorder trop d’attention à un «sondage informel» qui n’a pas été réalisé dans les règles de l’art.

L'Université de Montréal

Photo Étienne Brière 

L'Université de Montréal

En revanche, elle souligne que son institution s'est dotée de dispositifs adéquats, que ce soit pour sensibiliser les étudiants et le personnel au racisme et à la discrimination ou pour faciliter les plaintes des étudiantes.  

«Au printemps dernier, on a lancé une grande campagne contre la discrimination et le racisme. Ça a fait en sorte d'améliorer la compréhension, ça a mis tout le monde au diapason dans le fond, dans la compréhension de ces enjeux-là», avance-t-elle. 

La lutte contre la discrimination et le racisme a également été ajoutée l’an passé au mandat du Bureau du respect de la personne de l’UdeM, qui s'occupait jusqu’alors de recevoir les demandes d'accompagnement et les plaintes en matière de harcèlement et de violences à caractère sexuel. 

Selon Mme O’Meara, ce bureau a reçu plusieurs plaintes en lien avec la discrimination et le racisme. «Pour nous, c'est positif», dit-elle. 

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L’UdeM demande aux étudiants de parler 

Avec l’année scolaire qui débute, la Faculté des sciences de l’éducation s’est donné pour mandat «d’aller à l'écoute, d’aller à la rencontre des étudiants et des professeurs et des enseignants sur le terrain pour entendre les doléances», poursuit Geneviève O’Meara. 

La sensibilisation concernant les enjeux de discrimination et de racisme, ce sera même «une des priorités de l'année», assure-t-elle, rejetant les accusations selon lesquelles l’UdeM tenterait de normaliser certains comportements et situations.

Elle demande aux étudiantes et étudiants qui s'estiment victimes de racisme ou de discrimination de lever la main, de «cogner aux bonnes portes». 

Quant aux échecs parfois rencontrés lors des stages, la responsable des communications soutient que plusieurs raisons peuvent expliquer qu’une future enseignante échoue son stage, mais que le racisme n’en fait pas partie.

*Son prénom a été modifié pour éviter les représailles dont elle pourrait être victime. 

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