Une maison mobile comme premier achat

Sarah Aziz et Yusuf Al Zahabi devant leur mini maison... avec aussi leur mini voiture!
Acheter une maison mobile, ç’a été la meilleure chose que Sarah Aziz a faite pour sa santé mentale et le bien de son mariage, dit-elle. «On était en train de se noyer dans le loyer. Ça nous causait tellement de stress», raconte aujourd’hui la jeune femme de 26 ans, assise dans la cuisine de la maison qu’elle a payée comptant.
Sa stratégie d’accès à la propriété, atypique, a laissé son entourage perplexe pendant un certain temps. Mais elle n’est pas seule à y voir un avantage – les jeunes Québécois et Québécoises ont un intérêt grandissant envers les maisons mobiles, alors que le prix de l’immobilier explose un peu partout à travers le Québec.
«De plus en plus de familles se tournent vers cette option vu le prix et le faible coût d’entretien par rapport à une maison [ordinaire]», confirme Gabrielle D’Anjou, courtière immobilière à Châteauguay, qui a notamment des maisons mobiles dans son portfolio.
Pour mieux comprendre l’attrait de ce mode de vie, 24 heures est allé visiter la maison de Sarah Aziz et Yusuf Al Zahabi, située dans un parc de maisons mobiles à Saint-Basile-le-Grand, à une trentaine de kilomètres de Montréal.
Les maisons mobiles de Saint-Basile
Un autobus d’exo nous dépose en face du développement, entre campagne et ville, bordé d’un côté par un champ, et de l’autre, par un concessionnaire automobile. On est à la fois à deux minutes de voiture d’une ferme, et à deux minutes de voiture d’un Tim Hortons.
Le développement comprend à la fois des maisons mobiles sur des terrains loués et des maisons modulaires sur des terrains qui appartiennent aux résidents. La dizaine de petites rues sont calmes, parfois bordées d’arbres. Certaines maisons sont très modestes, et d'autres, plus élaborées.
Sur notre chemin, on croise un parc, un homme qui promène son chien, un autre qui nous salue à partir de son balcon. Un autobus scolaire s’arrête sur le bord d’une rue, et huit enfants en émergent, se dirigeant vers leurs maisons.
L’ambiance se trouve quelque part entre un quartier résidentiel et un camping. Chacun a sa cour, mais les bâtiments sont très près les uns des autres.
Les maisons, pour la plupart petites et faites sur le long, sont considérées comme des maisons «mobiles», parce qu’elles n’ont pas de fondations coulées dans le sol, et qu’on pourrait théoriquement les déplacer sur un autre terrain. Plusieurs ont des roues, cachées derrière du treillis ou des planches de bois. D'autres sont des maisons préfabriquées plus haut de gamme, qui tiennent grâce à des pieux. On sent que les gens sont là pour rester. Certains ont même installé une piscine sur leur terrain.
Bienvenue à la maison
Sarah Aziz nous accueille dans sa maison, grande comme un trois et demi – une cuisine, un salon, une chambre et une salle de bain, dans laquelle se trouvent aussi une laveuse et une sécheuse.
«On a un jardin, un ruisseau qui passe dans la cour, des canards, des fleurs... on peut recevoir ma famille à l’intérieur ou dans la cour, c’est pratique, c’est calme», dit-elle.
Avant d’acheter la maison en 2021, le couple vivait dans un appartement à Brossard. Le loyer s’élevait à 890$ par mois, sans compter l’électricité.
Ces paiements non négociables à faire chaque mois créaient beaucoup de stress dans le couple, notamment puisque Sarah, qui souffre d’une maladie chronique, avait à l’époque de la difficulté à trouver un emploi à temps plein qui pouvait accommoder ses besoins. Son mari gagnait sa vie comme mécanicien, mais les factures s’empilaient. C’était difficile d’économiser pour des projets futurs et l’argent était toujours une source de stress.
Sarah savait que ce n’était pas tenable, mais aussi qu’elle trouverait une solution. «Je cherche toujours des astuces qui permettent de rendre la vie plus efficace et moins stressante. Je m’en fous de quoi ç’a l’air», lance-t-elle avec aplomb quand on lui demande pourquoi elle a opté pour une maison mobile.
Heureusement, elle avait des économies de côté, et souhaitait les utiliser pour régler le problème − pas pour continuer à payer un loyer, d’autant plus qu’ils ne trouvaient pas grand-chose à meilleur prix.
Après de nombreuses recherches et des visites avec un inspecteur, elle a réussi à trouver une maison pas très loin de Brossard, constituée de deux trailers collés dont le mur mitoyen a été retiré, et qui a été isolée pour l’hiver. Lors de l’achat, celle-ci était encombrée de plusieurs objets et de rangement – il fallait y mettre un peu de travail pour qu’il y a de la place pour le couple. Elle l’a payée cash, 30 000$.
«On ne voulait absolument pas avoir de dettes», dit-elle.
La situation financière du couple est allée en s’améliorant depuis. Sarah a trouvé un emploi à temps plein, qu’elle peut faire presque totalement à distance, comme chef du programme Ouvrir les portes du travail à La fondation INCA.
Son conjoint a pu faire un retour aux études en enseignement, notamment car les paiements à faire chaque mois sont rendus vraiment minimaux. La maison mobile est sur un terrain loué de 1500 pieds carrés, qui coûte 230$ par mois, rien à voir avec le précédent loyer. Étant donné l'argent épargné en arrêtant de payer un loyer, le couple rentabilisera son achat en moins de quatre ans. Et c’est sans compter la valeur de la maison, qui a en plus augmenté.
«On était censés rester là temporairement, mais on est tombés en amour avec la maison. On va quitter seulement si on réussit à acheter – sans emprunter – une maison mobile qui nous plait davantage, qui est plus près de Brossard ou si on adopte des enfants et qu’on a besoin de plus d’espace.»
• À lire aussi: Qui gagne combien? Voici le guide des salaires au Québec
Pas difficile à vendre
On considère généralement parmi les désavantages des maisons mobiles le fait que la revente est difficile, mais ce n’est pas le cas actuellement. Le prix des maisons et la hausse des taux d'intérêt font en sorte que plusieurs revoient leur budget à la baisse, et se tournent vers ce qu’il y a de moins cher sur le marché, soit les maisons mobiles.
«Avant la pandémie, en 2019, les maisons mobiles se vendaient environ 80% de moins qu’aujourd’hui. La capacité d’emprunt des gens a grandement changé», soulève la courtière Gabrielle D’Anjou.
Dans le parc de maisons mobiles à Saint-Basile-le-Grand, Sarah voyait les maisons se vendre généralement autour de 60 000$ ou 80 000$ il y a quelques années. Maintenant, elles sont affichées autour de 120 000$ ou 140 000$. (Les maisons modulaires se vendent considérablement plus cher.)
Il n’y a pas que le prix qui est intéressant: l’esprit de communauté, l’entraide, le fait que les voisins sont proches pour veiller sur la maison lors d’absences prolongées et le peu d’entretien requis font partie des critères qui intéressent les acheteurs, rapporte Gabrielle D’Anjou. Les snowbirds qui partent dans le Sud pendant l’hiver sont une clientèle particulièrement intéressée par les maisons mobiles, mais ils ne sont pas les seuls. «Les jeunes familles aiment aussi les maisons mobiles, car c’est moins dispendieux qu’une maison (autant côté travaux que mensualités) et ils ont accès à une petite cour, ce qui n’est pas souvent le cas en logement ou en condo.»
«Ça reste un marché accessible avec un excellent rapport qualité/prix. Les acheteurs que j’ai représentés au fil des années me disent qu’ils ne regrettent pas du tout leur choix», dit-elle.
• À lire aussi: Voici combien ça coûte être un étudiant universitaire en 2023
Les points négatifs à l’achat d’une maison mobile
Il faut quand même mentionner qu’acheter une maison mobile vient avec ses défis.
Si une maison mobile est achetée sur un terrain loué, ce qui est souvent le cas, le propriétaire du terrain pourrait décider d’en faire un autre usage et demander aux locataires de partir. Il peut être une bonne idée de valider quel est le zonage du terrain auprès de la municipalité dans laquelle il se trouve, quels développements potentiels seraient possibles, et de prévoir un plan B.
Si on veut emprunter de l’argent pour acheter une maison mobile, ce qui est probable, surtout étant donné les prix auxquels elles se vendent en ce moment, il faut savoir que seulement deux institutions financières, soit RBC et Desjardins, offrent du financement pour ce type d’achat.
Les modalités du financement ne sont d'ailleurs pas identiques à celles qui prévalent lors de l'achat d'une maison classique. Par exemple, chez RBC, ce type de financement est offert à condition que le dossier soit assuré par la SCHL (peu importe le pourcentage de mise de fonds), avec un amortissement maximum de 25 ans, et à condition que la résidence soit occupée par le propriétaire (et non pas mise en location). Si le terrain sur lequel la maison se trouve est loué, on ne peut pas d'ailleurs parler d'une véritable hypothèque, mais plutôt d'un prêt personnel.
Le principal défi: en trouver une!
N’empêche, en ce moment, le principal défi pour quelqu’un qui veut une maison mobile sera sûrement... d’en trouver une encore à bas prix ou, encore plus difficile, un terrain sur lequel installer une maison.
Avec sa compagnie Multi-Domaines, Éric Lachapelle est propriétaire de 25 parcs de maisons mobiles – 19 au Québec, et six en Ontario. Il reçoit fréquemment des appels de clients intéressés à louer un terrain... et doit leur répondre que c’est complet. «Chaque semaine, on a des appels de gens qui nous disent qu’ils veulent mettre une maison sur un terrain, mais on ne peut tout simplement pas, il y a vraiment une forte demande», rapporte-t-il.
M. Lachapelle avance d’ailleurs que ses tentatives d’agrandir ses terrains ou d’en ouvrir de nouveaux se butent à un manque d’engouement de la part des villes.
Il remarque que la hausse des prix de l’immobilier amène de l’intérêt renouvelé autour des parcs de maisons mobiles, ce qui en redore l’image en même temps. «Depuis deux ou trois mois, on en parle dans l’espace public et ça améliore l’image parce que dans les faits, les parcs de maisons mobiles sont généralement bien entretenus. La plupart des gens sont fiers de leurs maisons, ils en prennent soin... ce n’est pas les trailer park trash comme on peut voir dans des films», dit-il.
Sarah a observé un revirement similaire chez certains de ses proches, qui n’étaient pas du tout convaincus par son choix initialement. «Des gens nous ont même demandé de trouver une maison mobile pour eux!» lance-t-elle avec un sourire en coin.
*
Note: certaines photos utilisées dans cet article ont été légèrement altérées pour dissimuler les numéros civiques et les plaques d'immatriculation, par souci de confidentialité pour les résidents.
Cette vidéo pourrait vous intéresser:
• À lire aussi: On a retrouvé le prix d’un billet de la STM en 2004 et ça fait mal au coeur