Une virée dans les raves underground de Montréal
Certains éclairent le sol avec leur lampe de poche, tandis que d’autres surveillent le point GPS indiqué sur leur cellulaire. Tous entendent de plus en plus distinctement la bass à mesure qu’ils se rapprochent de l’endroit convoité. Cette nuit, c’est dehors que le rave se passe.
C’est une scène assez courante l’été à Montréal, où des soirées clandestines ont régulièrement lieu dans des espaces verts publics, dans des bâtiments abandonnés ou dans des salles privées. Le documentaire Montréal la nuit, produit par l’équipe des grands reportages de Québecor, explore cet univers, et celui tout aussi foisonnant des raves qui ont lieu en toute légalité.
Une solution de rechange
On rejoint Honoré chez lui, où il reçoit quelques amis avant de sortir. Il vient d’apprendre que le free party auquel il voulait se rendre aura finalement lieu dans un parc du nord de la ville. Au départ, c’était censé être dans un bâtiment abandonné aux abords de l’autoroute 40. Un garde de sécurité aurait toutefois attrapé les organisateurs alors qu’ils préparaient la soirée.
«On n'est pas encore en gros hiver. On est là pour danser, peu importe les conditions, c'est pas ça qui va nous arrêter», assure le jeune homme originaire de France.
C’est vrai qu’il ne fait pas très chaud en ce soir d’octobre.
Arrivé sur les lieux, passé minuit, Honoré retrouve de nombreuses connaissances et prend un bon moment à discuter. Il va parfois danser pendant quelques minutes. Il ramasse des canettes vides. Il propose de l’eau à un groupe de filles. Bref, il fait tout sauf rester en place.
«[Dans les raves], il n'y a pas de discrimination, tout le monde est bienvenu, tout le monde est passionné par la même musique. Je pense que le bon mot, c'est la communion avec la musique», ajoute-t-il.
Le soleil commence à se lever. Honoré remet ses «lunettes de vitesse», comme il aime les appeler. Pendant que quelques promeneurs matinaux regardent, chien en laisse, les fêtards avec une curiosité évidente, il nous explique pourquoi il aime rester jusqu’au matin.
«Il y a comme un autre mood qui se met en place avec le lever du soleil», explique celui qui a traversé la nuit avec nous.
Le party s’éteint tranquillement. La police n’est pas venue, au soulagement des organisateurs, qui auraient pu s’exposer à une amende.
Pas toujours sécuritaire
«Mon observation en ce moment, c'est que la répression de la Ville du milieu festif clandestin a pour conséquence de pousser ces événements-là à se produire dans des endroits de plus en plus dangereux», affirme Éloi Thivierge, fondateur de PLURI.
Il pense notamment aux soirées Tran Horne Take Over, qui se tenaient au départ dans le skate park du Mile-End.
«Initialement, c'étaient des femmes trans qui se rassemblaient au skate park pour qu'elles puissent faire du skate une fois par semaine. Très rapidement, l'événement hebdomadaire s'est ramassé avec 300 à 400 personnes par soir qui venaient faire du skate, mais aussi socialiser.»
Après quelques descentes de police, l’organisatrice a choisi de tenir l’événement dans des endroits plus subtils, comme une vieille conduite accessible par une longue échelle que nous avons visitée.
Le lieu, spacieux et bien caché, est parsemé de bières vides, de chaises brisées et de vieux vêtements. Mais on ne peut pas parler d’un endroit idéal pour faire une fête. C’est un peu par dépit que des raves se retrouvent dans de tels endroits.
«En essayant d'éviter qu'un party soit trop apparent et se fasse fermer par la police, il faut le faire dans des endroits qui sont des fois un peu plus reculés ou un peu moins sécuritaires», regrette le DJ Francis Latreille, alias Priori.
«Éventuellement, la personne qui avait commencé Tran Horne a aussi organisé un événement dans le sous-sol d'une église abandonnée. [Il fallait] passer par une petite fenêtre étroite pour entrer ou sortir, ce qui était un énorme risque en termes d'incendie», se désole Éloi Thivierge.
Le 2 décembre 2016, à Oakland, un incendie dans un local d’artistes où se tenaient des partys clandestins a tué 36 personnes. Cet événement a été traumatisant pour de nombreux amateurs de soirées techno et house à travers le monde.
Priori s’en souvient bien. «On voyait un parallèle avec ce qu'ils faisaient. Ça aurait pu être nous, ça aurait pu arriver dans un espace ici.»
«Une faille dans la réglementation»
Dès l’après-midi, des gens ont commencé à arriver à l’Union française de Montréal, mais c’est la nuit tombée que l’ambiance commence à être réellement festive. Dans chacune des deux salles du rez-de-chaussée, on trouve une scène surélevée pour les DJs et un bar.
Hypercut – c’est le nom de l’événement – est organisé par quatre collectifs montréalais, dont Noreiner. Benoît Gigay, cofondateur de Noreiner, n’a pas à craindre la police ce soir: son rave est totalement légal. En demandant un permis de réunion, il a le droit de vendre de l’alcool dans cette salle jusqu’à 3h du matin et de poursuivre la fête jusqu’au moment de son choix.
En fait, il doit un peu craindre les forces de l’ordre: en cas de plaintes, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) pourrait venir casser le party.
Cette fois-ci, tout se passe bien. On retrouve Benoît vers 7 h, complètement épuisé mais content du déroulement des opérations.
Mathieu Grondin, directeur général de MTL 24/24, affirme que si «la scène événementielle à Montréal est très dynamique, [c’est entre autres] parce qu'il y a une vingtaine d'années, on a trouvé une faille dans la réglementation».
Cette faille, ce sont ces permis de réunion.
Il espère que la Ville va adopter des changements réglementaires pour normaliser les questions de bruit et rendre plus facile l’organisation de soirées où l’alcool peut être vendu sans limites de temps.
Ce n’est pas toujours aisé ni confortable de faire des raves à Montréal. Pourquoi, alors, les noctambules continuent-ils à chercher ce genre de soirées?
«Il y a des gens pour qui la façon de sortir de leur vie quotidienne, c'est de faire du sport après le travail. Il y a des gens pour qui c'est d'aller en nature. Et il y a des gens pour qui c'est d'aller dans un rave», explique Francis Latreille.
«Pour moi, c'est juste des façons d'être humain et d'être nous-mêmes.»
Le documentaire Montréal la nuit est disponible sur la plateforme Vrai.